Vassili Sigariov – La pâte à modeler

Vassili Sigariov
La pâte à modeler
200
Théâtre
Russie

Le texte dont nous allons parler est une pièce de théâtre russe contemporaine. Elle nous raconte l’histoire d’un garçon de 14 ans, Maxime, qui se heurte avec violence à une réalité médiocre : drogues, viols, alcools, prostitution et meurtre.

Je n’ai pas spécialement de difficulté avec les textes assez crus, mais ici, la sexualité est véritablement vulgaire et devient presque trash. La scène 18, sans être trash, m’a profondément choquée à la lecture, voire dégoûtée :

 Ils s’installent en bas des gradins. Ils ne remarquent pas Maxime. Le gars pose la bouteille sur le gradin et se met à tripoter la femme.

FEMME – T’es un rapide, toi. Primo, on picole.

GARS, il articule à peine – Après.

FEMME – T’as si envie que ça ?

GARS, il tremble – Oui, j’ai envie.

FEMME – Embrasse-moi.

            Le garçon l’embrasse tout en la tripotant.

FEMME – T’as les mains froides.

GARS – J’ai envie …

FEMME – Je suis belle ?

GARS – Oui, belle.

FEMME – Tu m’aimes ?

GARS – Je t’aime.

FEMME – Moi aussi. Comment tu t’appelles ?

GARS – Dima… Je t’en prie…

FEMME – Tu m’épouseras ?

GARS – Je t’épouserai. Je t’en prie…

FEMME – Allez, vas-y. (Elle se penche et retrousse sa jupe.)

Le garçon défait sa braguette. Se place derrière elle. Il tremble de la tête aux pieds.

FEMME – C’est pas là… Non, mais tu l’as jamais fait, merde. Pas là ! Hé, dis ? T’as déjà fini ?

Le gars s’écarte. Referme sa braguette.

T’es pressé et tu trouves pas l’trou.

[Le premier garçon s’en va, et Maxime apparaît, commence à discuter avec la Femme et puis ]

FEMME – Embrasse-moi là…

MAXIME – Où ça ?

FEMME – Là. (Elle retrousse sa jupe)

MAXIME – Pourquoi ?

FEMME – J’ai envie.

MAXIME – Pourquoi ?

FEMME – Embrasse. (Elle le fait se pencher)

MAXIME, se dégage – Laisse…

FEMME – Embrasse, fumier ! (Elle enfonce le visage de Maxime contre son slip déchiré) Embrasse, fumier ! Embrasse si tu aimes !

            Maxime dégueule sur elle.

            La femme le repousse.

            Maxime s’éloigne à reculons. Il saigne du nez.

FEMME – Pourquoi ?

MAXIME – C’est parti tout seul.

FEMME – Pourquoi ? Connard. Ca fait mal. Connard.

Connard. Ca fait mal. Connard. Ca fait mal… Connard. Ca fait mal. (Elle ramasse un morceau de pain mal digéré. Le fourre dans sa bouche). Connard… »

Sans détour, Sigariov a une écriture qui ne se veut pas fine et qui nous plonge de manière brutale et sans poésie aucune dans cet univers. On visualise nettement ce qu’il projette pour le plateau, et cela reste très cru (surtout face au yeux d’un jeune adolescent).

« Remue-ménage. Lekha respire lourdement, gémit. Sur l’écran, deux femmes urinent sur un homme qui vient de se faire assassiner » (scène 6)

De plus, sans aucune lueur d’espoir, les personnages qui gravitent autour du protagoniste l’enterrent, dès le début de la pièce. La professeure de russe dit alors à Lekha, son ami :

« Qu’est ce que tu as à fricoter avec ce vaurien ? Il est foutu, lui, et depuis longtemps. Mais toi ? Au lieu d’être son ami, tu ferais mieux d’avoir des copains plus fréquentables. » (scène 4)

Plus loin, la même enseignante dit à un parent d’élève en parlant de Maxime :

 » Qui sait. Il va peut-être se faire buter dans la rue, le plus tôt sera le mieux. Point final. Une ordure en moins sur la terre … »

Ainsi, même le corps enseignant est loin d’être rassurant et exclu les élèves au point de leur souhaiter la mort.

Le texte en lui même est assez vulgaire, avec beaucoup d’insultes « Crève-le ce pédé » (scène 8). Il n’y a jamais d’amour dans cette pièce. Tout est brutal et sale, à des niveaux de violence différents très choquants pour moi. Ce qui me choque tout d’abord, c’est l’âge bien trop jeune de Maxime face à toutes les atrocités que lui fait subir l’auteur. Il semble sans cesse violé par le quotidien. Autant dans les mots que dans les actes, la sexualité et la pourriture suintent. Tout est surexposé, dans l’abus le plus total. Les personnages sont toujours agressifs entre eux, sans jamais avoir d’adjuvant véritable. Même l’ami n’en est pas un. Le langage est particulier, haché, chacun se coupe ou s’oblige à parler, et à agir. Les violences sont morales et physiques et me heurte profondément. Cette réalité déformée, poussée à l’extrême du vice, m’écœure et me rebute, et j’ai dû lire cette pièce en plusieurs fois avant de réussir à la lire d’un trait. À la lecture, elle me met des haut-le-cœur insupportables qui m’engagent et brutalisent ma perception, sans cadre ni medium pour apaiser la lecture. L’analyse est complexe à effectuer pour moi, puisque je me sens violenté en tant que lectrice et spectatrice.

Par Romane Rivol
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017