Wajdi Mouawad – John

Wajdi Mouawad
John
1997
Théâtre
France

John fait parti des 10 pièces courtes regroupées dans le recueil La Famille, pièces commandées à plusieurs auteurs pour les petites formes de la Comédie Française. Cette pièce n’a pas été montée par son auteur et l’a très peu été en professionnel depuis son écriture. Une pièce presque oubliée ayant pourtant, comme souvent chez Mouawad, un sujet fort et difficile, traité de manière intime : le suicide.

Ce qui fait choc dans ce texte, c’est d’abord le sujet. Wajdi Mouawad parle du suicide d’un adolescent qui se filme dans ses dernier instants pour sa famille, laissant derrière lui une sœur démunie qui tente en vain de lui répondre. On a donc au premier abord un choc en trois temps.

La mort est déjà un sujet qui fait choc car, c’est un endroit de mystère et de violence absolue de la vie des êtres humains. Mais le suicide est un sujet encore plus particulier et tabou, car culturellement, dans la religion catholique et d’autres grandes religions, il est considéré comme un crime. La vision populaire de cette mort diffère des autres car, elle est une interruption prématurée de la vie qui n’est pas naturelle à première vie où directement liée à un élément extérieur objectif (comme un accident ou un homicide). La parole du suicidé est/ était donc généralement moins publiquement mise en avant si celui-ci est incriminé. Ce témoignage est rare et exceptionnel, à l’image de 4.48 psychose de Sarah Kane.

Ce suicide prend un sens qui met encore davantage mal à l’aise ici. Dans le cas d’un enfant/adolescent, d’une personne mineure, l’infantilisation de sa manière de penser et l’image d’innocence à laquelle renvoie son âge, fait choc. La radicalité d’une telle décision est encore moins admise que dans le cas d’un adulte que l’on pourrait estimer plus conscient de ses actes. Les suicides d’adolescents qui sont les plus souvent mis en avant sont d’ailleurs ceux faisant suite à un harcèlement scolaire, une maladie comme l’anorexie, à un viol ou un contexte familial violent. Ce texte prend le contre-pied de ce phénomène car, il tend à comprendre le phénomène du mal être en donnant la parole de celui qui la vit, et ce indépendamment d’éventuelles causes l’ayant provoqué.

Le troisième temps de ce choc intervient donc à travers une parole directe fictive. John filme, se filme, s’adresse directement à sa famille. On se trouve face à une pensée décousue, une tentative de synthétisation, d’explication de tout ce qu’il ressent et le pousse à prendre cette décision. On a donc des balbutiements, des éléments entremêles, des bribes d’émotions et d’informations. Au travers des images, les métaphores et les souvenirs, ainsi que la manière dont ils sont agencés, Mouawad esthétise l’état du personnage de John pour rendre plus lisible la confusion de son esprit. Les hésitations, l’émotion et la panique du personnage, rendent la situation de fatalité dans laquelle il se trouve, plus réelle. Le lecteur navigue entre deux espaces-temps dont celui du jeune homme.

On pourrait croire que tous ces éléments provoquent déjà un choc rare et intense pour le spectateur. Mais, ce qui rend également ce texte intéressant est la manière dont il traite son sujet. En plus d’évoquer le suicide du point de vue du suicidé, un adolescent de 16 ans, ce qui fait déjà choc, l’auteur prend le parti d’évoquer ce traumatisme à travers la sœur de John. Un point de vue qu’on penserait à peine à évoquer et dont on entend peu parler au quotidien. Cela permet à Mouawad de parler de la vie de ceux qui restent  « Comment survivre à la mort du sang ?», mais également de mettre en avant ce qui peut être oublié dans ce genre de situations. « On ne parle jamais assez des grandes sœurs ». À travers ce parti pris, il pose la question de la place du deuil des frères et des sœurs, sous-entendu à côté d’incommensurabilité de celui des parents. La confrontation des deux espaces-temps de ce texte permet de les relier sans cesse et de former comme un dialogue entre les personnages. C’est leur lien fraternel qui est mis en avant et l’amour qui les relie qui donne un sens différent à la mort de John mais également à la vie de Jeanne. Leur nostalgie est mise en commun et les rattache. Jeanne devient la porte parole de la douleur invisible du sentiment d’échec et de l’amour perdu lié au deuil. Elle exprime, souvent avec des métaphores les sentiments complexes et particuliers auxquels son personnage est confronté.

L’histoire est personnelle mais les émotions et réactions des personnages ont des raisonnances universelles.

Par Anélys Pieto – Le Lay
Université Sorbonne N
ouvelle – Paris3, L3, 2017

http://www.theatre-contemporain.net/textes/John-Wajdi-Mouawad/

http://fta.ca/wp-content/uploads/2016/01/wajdi_mouawad_c_jean-louis_fernandez_1-600×680.jpg

http://www.literaryramblings.com/wp-content/uploads/2014/01/448.jpg

https://www.slideshare.net/ranjanir123/adolescent-suicide

https://image.slidesharecdn.com/sw-121101114932-phpapp02/95/adolescent-suicide-4-638.jpg?cb=1351771140

https://mmmath.files.wordpress.com/2011/04/ciels_1_cr_jean-louis_fernandez.jpeg?w=940

http://theatreenliberte4.tumblr.com/post/85236611155/john-de-wajdi-mouawad-mise-en-scène-de-thomas