Thomas Ostermeier – Hamlet

Thomas Ostermeier
Hamlet
2017
Théâtre
Allemagne

Créé à la Schaubühne de Berlin en 2006, l’adaptation contemporaine d’Hamlet par son directeur Thomas Ostermeier fait partie de ces spectacles que l’on n’oublie pas, qui marquent et qui choquent les sens. Accueilli plus ou moins chaudement à l’ouverture du festival d’Avignon en 2008 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, il est représenté de nouveau à Sceaux en 2008 en tournée puis, est repris en janvier 2017 dans ce même théâtre.

Voici un extrait de l’article de Didier Méreuze paru dans La Croix le 23 janvier 2017 :

Succède la scène, tout aussi déjantée, du mariage de Gertrud et Claudius. Elle, toute vêtue de blanc, se déhanchant, se trémoussant sur des airs de musique arabo-andalouse, voire poussant la chansonnette ; lui, usurpateur du trône, nouveau maître s’emparant du royaume comme un nouveau riche, attablé devant des plats servis en barquette, des bières en cannette, du vin en cubitainer versé dans des verres en plastique. La suite est tout aussi trash. Ainsi, la représentation du Meurtre de Gonzague donnée par des comédiens de passage, à laquelle s’associe Hamlet, travesti en femme en bas noirs (sa mère ?) […]

On peut en effet considérer que la pièce met en scène une esthétique trash: la pièce s’ouvre sur l’enterrement du père d’Hamlet dans la boue, qui n’est, à ce moment-là, pas encore saturée de déchets. Des détails burlesques exhibent les artifices théâtraux: des jets et des flaques de ketchup représentent le sang, un technicien vient sur scène avec un tuyau d’arrosage et fait retomber l’eau en pluie sur les personnages. Très vite les costumes blancs ou noirs des six comédiens, qui jouent les dizaines d’acteurs et figurants de la pièce de Shakespeare, sont maculés de boue. Puis Hamlet, ventripotent et avide de nourriture, se goinfre de kebabs dans des barquettes en polystyrène et enchaîne les bières. À la suite de la scène de banquet située derrière un rideau fait de chaînettes ou de billes dorées et argentées, les assiettes valdinguent et surtout les verres en plastique jonchent le sol, verres auxquels s’ajoutent les canettes et les barquettes vides, le faux sang, l’eau qui ruisselle, stagne ou s’infiltre sur tout l’avant-scène. Ce n’est pas un joyeux chambardement mais bel et bien le lieu d’un tragique déraisonné, où le burlesque lance des clins d’œil inquiets et grinçants à l’actualité politique. La folie d’Hamlet est-elle causée par l’impasse de ses relations avec les membres de sa famille ? N’est-elle pas une gangrène d’un monde qui leur échappe, nous échappe, qui ne cesse d’être excessif et dont la scène montre l’excroissance ? Les conséquences de cette mascarade, de ce carnaval, sont ces images violentes qui témoignent d’un travestissement permanent des personnages. Sur la scène, chacun est un pion sur l’échiquier tragique du monde. Les identités et nos repères se brouillent simultanément: la scène est saturée de déchets, de boue, d’eau, d’images cinématographiques projetées sur écran géant ou de rideaux de scène clinquants confondant nos sens. Si le spectacle est aussi trash, la théâtralité contribue sans doute à révéler combien la société dans laquelle nous vivons ne s’assigne parfois aucune limite dans la transgression et la course en avant vers toujours plus d’excès. C’est aussi ce cercle vicieux, et non vertueux, qu’Hamlet dépeint avec un engagement féroce.

Thomas Ostermeier évoque sa volonté de donner un « coup de pied aux fesses » d’Hamlet, l’extraordinaire Lars Eidinger, qui à terme se mue en un coup de poing au creux du ventre du spectateur.

Par Juliette Labreuche
Université Sorbonne N
ouvelle – Paris3, L3, 2017