Sylvain Creuzevault – Angelus Novus, Antifaust

Sylvain Creuzevault
Angelus Novus, Antifaust
Théâtre
Paris
2016

Angelus Novus, Antifaust est un spectacle mis en scène par Sylvain Creuzevault et joué dans le cadre du festival d’Automne à Paris au Théâtre de la Colline, en novembre 2016. Pour  la création de son spectacle, il a utilisé diverses influences. Parmi celles-ci, on retient : le mythe de Faust, Le Maître et Marguerite, roman de Mikhaïl Boulgakov paru en 1939, le mythe de Lilith, le mythe de Baal et le tableau Angelus Novus de Paul Klee qui a donné son nom au spectacle.

Je pense qu’il est extrêmement difficile de résumer le spectacle tant les influences et les références sont nombreuses, tant les enchevêtrements d’actions, de temporalités, de tableaux, d’espaces différents sont complexes, enfin, tant les éléments de mise en scène sont hétérogènes et s’entrechoquent.

Pour le moins il existe un maigre fil conducteur à l’histoire : on suit deux hommes et une femme, deux scientifiques et un musicien, faire face à leur vie et se battre contre ce qui semble être leurs démons. Ils sont comme trois Faust qui auraient pactisé avec Méphistophélès. Il semblerait que Sylvain Creuzevault ait essayé de faire rencontrer le mythe de Faust avec notre société contemporaine, mais une société aseptisée, dénuée de sens et d’avenir. Pour revenir au tableau de Paul Klee auquel Creuzevault attache beaucoup d’importance, voici ce que Walter Benjamin décrit de lui : « Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées ». Pour lui, l’ange du tableau contemplerait atterré le passé qui serait composé de ruines, et il serait attiré malgré lui, par une tempête, vers l’avenir, auquel il tourne le dos, et où se prépare une catastrophe : « Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. » Walter Benjamin capte toute la subtilité pessimiste de cette peinture, qui en fait un argument de poids pour le spectacle.

Pour ma part, cette pièce a été un véritable choc esthétique, même si je cherche encore à savoir si ce fut un choc plutôt positif ou négatif. Ce qui est sûr, c’est qu’un an après, cette pièce continue de me hanter et de me bouleverser. Un passage, un tableau résume entièrement ce qui a provoqué un choc esthétique au fond de moi. Au retour de l’entracte, la scène et la salle sont plongées dans une obscurité totale. D’un coup, une douche de lumière projetée sur un immense drap noir éclaire une chanteuse lyrique déguisée en larve géante, portant un masque blanc inexpressif sur le visage. Elle nous chante (hurle), tout en se tortillant, des mots en allemand (traduits au-dessus) tels que « larve », « pet », ou « morbide » sur un fond sonore orchestral du type « orchestre qui s’accorde », ou bien « France Musique à 4 heures du matin », ou du type élève raté de Pierre Boulez. Et cela pendant bien quinze minutes. J’ai appris plus tard que la musique avait été composée spécialement pour le spectacle par Pierre-Yves Macé et que cet Opéra s’intitulait Kind des Faust, « L’Enfant de Faust »*. Toujours est-il que cela m’a non seulement plongé dans un malaise intense, mais j’ai, de plus, cessé ma quête de trouver un sens logique à tout cela.

On peut dire que ce fut un choc esthétique, premièrement sur le plan auditif. En effet, même si ce genre de musique monopolise depuis un certain temps le monde de la musique classique contemporaine en France, nous n’avons pas, pour la plupart, l’habitude d’écouter ce genre de musique. Il faut le reconnaître, ce genre musical n’est pas très facile d’accès, pour ne pas dire inaudible.

Deuxièmement sur le plan visuel ; la description des événements se suffit presque à elle-même. Il faut se dire que ce qui contribue au choc esthétique est la proportion inhabituelle d’un insecte, le jeu des contraires entre le masque inexpressif et la voix complètement torturée, projetée et vociférée de la chanteuse et enfin, la lumière beaucoup trop intense et dirigée au milieu de la pénombre. Troisièmement, sur le plan textuel et dramatique ; il était difficile de ne pas rester hermétique au non-sens du texte qui n’était qu’un entrelacs de mots rebutants, et sans aucun rapport entre eux. De plus, cela n’avançait en rien le propos dramatique de la pièce déjà très compliqué et très peu compréhensible.

Enfin, malgré la capacité (et volonté?) de Sylvain Creuzevault à perdre son public, son spectacle à fait choc à mes yeux, mais cela reste un avis très subjectif. La performance des acteurs n’en restait pas moins remarquable et fascinante, et de plus, la grande hétérogénéité des éléments amenait finalement à une certaine homogénéité de l’ensemble, bien construite.

Par Héloïse Cholley
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017