Tod Browning – Freaks

Tod Browning
Freaks
Cinéma
1932
États-Unis

Description brève

Freaks fut l’un des premiers films d’épouvante. Réalisé par Tod Browning (créateur du premier Dracula en 1931) ce long-métrage met en scène de vrais « monstres » difformes physiquement et/ou psychologiquement, parfois atteints de maladies incurables, faisant partie d’une troupe de cirque. La plupart des personnages étaient de véritables artistes de théâtre et de cirque connus pour leurs particularités physiques. Browning, après le succès de Dracula, voulait présenter un film davantage spectaculaire et plus horrifique, mettant le spectateur face à la réalité cinglante de ces monstres. Il cherchait à créer un film sans artifices ni maquillage en présentant des anormaux bien réels.

Le film nous plonge au cœur d’un cirque où tous ces artistes vivent en communauté. Dès le départ, nous constatons que les monstres sont moqués et exclus. Hans, un nain, dit même que « les grands pensent qu’ils n’ont pas de sentiments », en parlant des personnes comme lui. Ces monstres considérés comme anormaux paraissent véritablement humains, bien plus que les normaux présents dans la troupe qui les détestent et les utilisent. Browning présente un retournement de situation singulier pour l’époque entre les humains et ceux considérés comme des monstres. Le public est en effet face à des « monstres » sympathiques qui lui ressemble, favorisant dès lors l’empathie.

Certains comme Dick Tomasovick ont interrogé l’envie du réalisateur de créer un pareil film, car la production MGM a mis beaucoup de temps avant de donner les financements pour la production. Il est dit que Browning fut artiste de cirque durant un temps et qu’il s’enticha également d’une danseuse d’une troupe ambulante, ce qui l’attira à réaliser Freaks.

La réception

La difformité « monstrueuse » des personnages dans Freaks est bien réelle, ce n’est pas du maquillage et c’est pour cela que le film fut interdit à sa sortie. Ce fut un véritable fiasco : la MGM eut un déficit de 164 000 dollars sur les 316 000 qu’ont coûté sa production.

Dans les années 1930, ce genre d’humains horrifiaient, mais aussi fascinaient, étant perçu comme des extra-terrestres ou des erreurs de la nature. Il est d’ailleurs raconté dans le livre de Dick Tomasovick Freaks, La parade Monstrueuse de Tod Browning, que les équipes techniques du film ainsi que les producteurs refusaient que les monstres mangent avec eux et partagent les salles communes. Ils durent construire d’autres salles pour les artistes de cirque. Seuls les nains Harry et Daisy Earles et les soeurs siamoises Daisy et Violet Hilton étaient acceptés, car leur difformité était moins visiblement choquante.

Redécouverte du film

En 1962, le film fut redécouvert grâce à une projection au Festival de Cannes.

Le film inspira d’ailleurs par la suite tout le cycle Freak Show de la série American Horror Story saison 4 en 2014, reprenant de nombreux personnages et éléments du film. Toute l’intrigue se déroule d’ailleurs dans un cirque en déclin dans les années 50. Parmi les acteurs, Naomi Grossman ressemble trait pour trait à Schlitze (présent dans La monstrueuse Parade) et Jyoti Amge joue son propre rôle de plus petite femme du monde,  appelé « La Petite » à la manière de Frieda et Hans les nains.

Inversement des rôles

Le film inverse les rôles en affichant que les véritables monstres ne sont pas les freaks mais bien les personnes normales. En atteste le personnage de Cléopâtre, la trapéziste qui décide de berner le nain Hans, fou amoureux d’elle, en l’épousant. Nous nous rendons vite compte qu’elle le fait par intérêt, car elle sait qu’il est devenu très riche grâce à un héritage. Juste après le mariage, alcoolisée, elle lui dit réellement ce qu’elle pense de lui : qu’elle le considère comme un monstre et qu’elle ne sera «  jamais  un des  leurs ». Peu après elle s’excuse pour l’amadouer, mais va décider de l’empoisonner en cachette afin d’avoir son argent.. Avant que cela ne se produise, Hans est prévenu par ses amis, et Cléopâtre se retrouve encerclée par tous les monstres qui vengent leur ami en emmenant la trapéziste dans la forêt. À la fin du film, elle se retrouve dans un musée des horreurs exhibée aux yeux des gens normaux, transformée en femme-tronc, mi-humaine, mi-poule.

Il est à noter que les images de la transformation ont été censurées :  elles étaient présentes dans la première version de 1932, mais ont été supprimées car « évoquant sans nul doute une dimension particulièrement scabreuse du viol ». Le public fut en outre choqué qu’une si belle actrice de son temps, Olga Baclanova, fût autant bafoué à la fois moralement quant à la vénalité du personnage et physiquement en regard de sa métamorphose finale.

Ce retournement de situation humanise les monstres et entre en rupture avec les préjugés de l’époque. Les personnes difformes se montrant au final plus humains que les personnes normales. Le film de Browning est un « portrait noir de la condition humaine en opposant dans un premier temps la monstruosité physique des anormaux à la monstruosité morale des normaux ».

Les « Freak Show »

Au XIX et début du XXe siècle les monstres font le divertissement dans les foires, les cirques et les théâtres tout en attirant aussi la curiosité des médecins. Non acceptés pour vivre dans la société, ces gens victimes de difformités doivent vivre une vie marginale en se produisant dans ces lieux,. On retrouve un certain voyeurisme de la part des spectateurs, entre peur et fascination pour ces êtres. Les « freak show » connaissent un véritable succès avant la montée du cinéma au début du XXe siècle. Par la suite, leur activité décline notamment avec l’arrivée de diverses lois en Europe interdisant leur exhibition considérée comme choquante et malpropre pour la société et la dignité humaine.

Pour exemple, Joseph Merrick « l’homme éléphant » est un être difforme de l’Époque victorienne qui passa sa vie dans la misère. Il ne vécut que 30 ans, mais travailla dans une usine à cigare, dans une mercerie puis se produisit comme artiste de foire poussé par un médecin, avant d’être interdit de représentation par des lois interdisant l’exposition d’êtres humains en Grande-Bretagne. Il fit aussi de nombreux séjours à l’hôpital pour des expériences et fut exposé lors de congrès médicaux. Il finira sa vie à l’hôpital caché de tous, et se donnera la mort en s’endormant sur le dos, ce qui bloquera sa trachée.

Aussi les siamoises dans Freaks furent de véritables artistes de music-hall et de théâtre. Daisy et Violet Hilton se produisirent dans divers music-halls en Europe à la demande de leur mère adoptive qui les poussa à devenir artistes, car l’étrangeté rapportait beaucoup d’argent. Elles étaient célèbres à la fois pour leur difformité, mais aussi par leur beauté et leurs talents de comédienne et de musicienne. Elles finirent leur vie aux États-Unis dans un café qu’elles dirigeaient.

Le spectaculaire dans Freaks

Le film de Tod Browning travaille sur une réalité des plus fantaisistes dans la mesure où nous sommes confrontés à des monstres qui caractérisent une anormalité qui nous effraie. Son travail est justement de dissoudre les artifices du film d’épouvante pour peindre des portraits d’humains et des comportements qui nous ressemble. La force ici de l’esthétique du film est justement de retourner la situation et de nous mettre face aux vices des normaux et des intérêts qu’ils souhaitent obtenir en se servant justement des personnes faibles et exclut que sont les monstres. Il n’y a en effet pas de peur pour Cléopâtre et Hercule, mais de la vénalité et de l’abus.

Ainsi, le spectaculaire est à deux tranchants : d’une part, nous assistons au spectacle de ce cirque de monstre et de leurs portraits monstrueux qui s’enchaînent au fur et à mesure des plans, mais aussi d’autre part à un retournement de situation qui nous pousse dans nos retranchements. Browning réussit à montrer que la véritable monstruosité ne découle pas des anormaux, mais justement des normaux qui montre la plus infâme de leur médiocrité.

Par Emeline Regnault
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017