Satoshi Miyagi – Antigone

Satoshi Miyagi
Antigone
Théâtre
2017
France

 

Spectaculaire (du latin spectaculare « regarder ») : qui frappe la vue, provoque l’étonnement par quelques aspects exceptionnels.

Début juillet 2017, j’ai eu l’opportunité d’aller au festival d’Avignon. Mieux encore, le premier spectacle que j’ai vu dans l’ancienne ville papale eut lieu dans la cour d’honneur du Palais des Papes. Lieu immense, déjà très spectaculaire en tant que tel, le spectacle de Miyagi fut à la hauteur de la démesure des lieux.

Satoshi Miyagi est un metteur en scène japonais. En faisant quelques rapides recherches, on peut lire que ce dernier a créé en 1990 une compagnie du nom de Ku Na’uka qui s’inspire du Bunraku et du Kabuki (des techniques de théâtre traditionnel japonais). Avec cette compagnie, il développe un théâtre où un rôle est interprété par deux comédiens : l’un muet qui évolue dans le corps et l’autre qui fait la voix du personnage. Vingt-sept ans plus tard, c’est dans cette esthétique que Satoshi Miyagi présente l’Antigone de Sophocle. Désormais directeur du Centre des arts vivants de Shizuoka, les moyens utilisés sont considérables.

La cour d’honneur du Palais des Papes est couverte par des musiciens, chanteurs et comédiens. Tout est fait pour que l’on n’identifie pas un personnage à un comédien, mais pour avoir sous les yeux un chœur gigantesque qui sera présent dans les chants du prologue, des parodos et de l’exodos ou encore dans les épisodes. En effet, plus qu’une division en deux personnes d’un même rôle, les comédiens sont par groupe pour représenter un seul personnage. Tous portent des costumes de ceux qu’ils vont représenter comme si l’on assistait à la construction de mythes sous nos yeux.  Immenses, dépassant les cultures, les héros de la tragédie grecque sont dans leurs caractères et leurs actes extrêmes. Ici dans Antigone,  Créon va tuer sa nièce, Antigone, car elle a absolument voulu désobéir à ce dernier en enterrant l’un de ses deux frères. Miyagi n’a pas souhaité banaliser cette radicalité des actes des personnages. Projetant les ombres d’Ismène, Hémon, Antigone et Créon sur les murs centenaires de la cour d’honneur, le spectacle rend sa grandeur au mythe.

Le spectaculaire vient aussi del’intention de Miyagi de rendre au théâtre sa sacralité.  Le texte Antigone a été écrit par Sophocle en 441 av. J.-C.. Dans cette pièce, les Dieux y sont quasi-omniprésents (les tragédies étaient en effet écrites pour des fêtes religieuses), Antigone désobéissant à la loi des humains pour obéir à celle des Dieux. Satoshi Miyagi le fait jouer dans un ancien haut lieu de la religion. À cela s’ajoute un souffle religieux (plus particulièrement du « bouddhisme japonais »). Ouvrant son spectacle dans le repos total des mouvements de l’eau qui remplissaient tout le plateau et se clôturant sur les bruits de la barque sur cette même étendue d’eau, Myagi encadre le spectacle comme pour le rendre encore plus gigantesque et merveilleux, mais aussi pour faire entrer cette pièce dans une procession religieuse. Chacun participe à la création de quelque chose de supérieur. Les chants, comme le jeu chorégraphié à l’extrême, peuvent rappeler les rites religieux. Pour ma part, cela me rappelait la messe catholique qui dure d’ailleurs à peu près la durée du spectacle (1h30/1h45) et qui comme ce spectacle était divisée en plusieurs temps bien codifiés avec souvent les mêmes prières. Celles-ci reviennent de la même façon que Miyagi utilise des leitmotivs musicaux.

Enfin, une partie du spectaculaire vient de cette culture orientale que nos plateaux n’ont pas l’habitude de recevoir et que j’ai vu pour la toute première fois lors de cette représentation.  Il est difficile pour un non-spécialiste du théâtre japonais de dire exactement ce qu’il a vu. Peut-être que le directeur du  Centre des arts vivants de Shizuoka s’éloigne beaucoup des traditions japonaises théâtrales. Cependant, le metteur en scène nous transporte ailleurs grâce aux mouvements pantomimiques, à une façon caractéristique de dire le texte et à l’utilisation d’instruments aux sonorités orientales. C’est en nous emmenant dans cette culture lointaine que cette pièce si connue nous apparaît maintenant inconnue et nous impressionne.

Par Matthieu Bousquet
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017