Nicolas Stemann – WERTHER!

Nicolas Stemann
WERTHER!
1997
Théâtre
Allemagne

Werther ! est une pièce adaptée du roman épistolaire Les Souffrances du Jeune Werther écrit par J. W. Goethe  en 1774. La pièce est mise en scène par l’allemand Nicolas Stemann et jouée par le comédien autrichien Philipp Hochmair. Elle a été créée en 1997, recrée en 2015 au Théâtre de Vidy à Lausanne et présentée au Théâtre La Commune d’Aubervilliers en mars 2016[1] .

Il s’agit d’un spectacle bilingue français-allemand surtitré, d’une durée d’une heure, pendant laquelle le comédien Philipp Hochmair, seul sur scène mais, aidé d’une caméra, d’un écran, d’un microphone, d’une table, et quelques objets; construit, aussi bien que détruit –voire déchire- la figure du « personnage le plus égocentrique de la littérature allemande » ainsi que son corps et la scène.

La pièce ne donne pas à voir une reconstitution du texte, mais au contraire, elle présente un agencement de morceaux de natures diverses, qui permet de voir –tel un kaléidoscope- certains aspects de la personnalité du personnage. Cela passe aussi par une parodie désacralisant le mythe,goethéen (figure emblématique allemande); ou encore, d’un côté plus performatif, un méta discours  sur le comédien et son métier, ramenant la pièce dans l’espace-temps du spectateur.

Quant à la nature diverse de ces morceaux, en ce qui concerne le jeu du comédien, Philipp Hochmair passe du personnage de Werther qui prononce des monologues, au personnage qui dialogue avec lui-même en utilisant la caméra et le microphone; au comédien qui lit des extraits du texte qu’il doit apprendre et qui parle de son métier ou encore, à l’auteur de la pièce ou de la fiction, qui décide et explique ce qui va se passer par la suite.

En ce qui concerne l’espace, il est divisé entre la scène, parfois un espace à l’intérieur de celle-ci qui est caché par un rideau, l’espace virtuel sur l’écran, l’avant-scène, que le comédien utilise pour s’adresser au public, le hors-scène, d’où il amène de temps en temps de nouveaux éléments et enfin, le hors-salle car, à un moment donné, il quitte celle-ci.

Ainsi, la pièce met en place, dès le départ, un univers morcelé dans lequel tous les éléments se tiennent entre eux par des fils très fins. Au fur et à mesure du spectacle, ces fils se déchirent, jusqu’à ce que la pièce et ses morceaux éclatent à la fin.

Ce déchirement progressif passe par la destruction du personnage qui s’enfonce de plus en plus dans ses délires; par l’engagement physique et émotionnel du comédien qui augmente sans cesse et qui l’amène vers l’épuisement; par le texte qui est fragmenté, imbriqué avec d’autres récits, ou mal traduit dans les surtitres; par l’image sur l’écran qui se répète ou se gèle; enfin, par l’espace physique que le comédien rend chaotique avec les objets, en les jetant partout, les cassant ou les déchirant.

Ce déchirement, ou la destruction de tous les éléments de la pièce, font de celle-ci, à mon avis, une œuvre trash qui arrive à frapper ou choquer le public, d’une manière ou d’une autre.

Dans mon cas, deux éléments en particulier m’ont produit une forte impression. D’une part visuellement, une scène dans laquelle le comédien fait un grand bazar pour préparer une salade, pour ensuite en prendre une bonne quantité dans sa bouche et puis la cracher vers le public. D’autre part, affectivement –et c’est l’aspect qui m’a choqué le plus- la vue de l’épuisement physique du comédien et du flou des émotions que celui-ci permettait ou provoquait chez lui. De plus, j’étais émue par son engagement, par la prise de risque qu’implique cette pièce à mon avis. En effet, cette pièce nécessite la maîtrise d’un texte mais aussi, la capacité de sortir et rentrer dans le personnage, de gérer tous les éléments de la scène et en plus se confronter à un public peut-être intransigeant. Plus encore, en voyant le personnage et le comédien (la personne) à la fois fort et fragile, dépassé mais, donnant toute son énergie pour tenir la pièce jusqu’au bout.

Quelques jours avant, j’avais vu un spectacle à La Comédie Française qui m’avait déplu et ennuyé énormément. Celui-ci déployait  un grand dispositif scénographique et plusieurs comédiens qui jouaient leur rôle et connaissaient leur texte par cœur jusqu’à la moindre virgule. À la fin du spectacle, toute la salle s’est levée pour applaudir. J’étais étonnée et je me suis demandé si ce qu’ils avaient autant apprécié, c’était le contrôle absolu (on vous présente un spectacle impeccable) et « la virtuosité » des comédiens pour réciter un texte.

Quelques jours plus tard, à la fin du spectacle Werther ! le public est resté assis en applaudissant de manière assez sobre et froide. Personne ne s’est levé, même pas moi qui avais envie de le faire,et je le regrette. J’ai fait toute de suite le lien avec la réponse du public du spectacle de la Comédie Française et je ne pouvais que me sentir triste et déçue en pensant que ce comédien qui avait tout fait tout seul, et tout donné, méritait beaucoup plus de la part du public. En outre -même si c’est une pensée très générale- je trouve cela dommage de préférer une apparente virtuosité à une véritable prise de risque.

Par Laura Sotelo
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017

[1] La Commune – Aubervilliers – centre dramatique national. Werther ! [en ligne] http://lacommune-aubervilliers.fr/werther [Consulté le 27 Novembre 2017]