Gaspar Noé – LOVE

Gaspar Noé
LOVE
2015
Film
France

Jacques Doniol-Valcroze, dans un article de 1959 paru dans la revue France Observateur, écrivait «Nous nous plaignons souvent que la majeure partie des films sont infantiles et que leurs auteurs, si l’on peut dire, prennent le spectateur pour un imbécile, ou, à tout le moins, pour un attardé intellectuel. » Il poursuivait à propos du film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour en lui attribuant les caractéristiques de « Cinéma de l’âme et du cœur, de l’intelligence et de l’esprit (…) film qui honore le cinéma tout entier, un film important, adulte, réalisé, enfin, par un adulte et pour des adultes. » Cette critique d’une rare justesse souligne le paradoxe qui hante le cinéma fragmenté entre désir de montrer le réel et hypocrisie imposée par une censure bienséante.

Plus de cinquante ans après la sortie de l’oeuvre de Resnais, sort LOVE, film de Gaspar Noé surnommé par les médias « l’enfant terrible et provocateur du cinéma mondial », en raison de la sincérité absolue qui émane de ses œuvres transgressives.
LOVE est un film sorti en 2015 fruit d’une dizaine d’années de travail de son réalisateur qui affirmait sans honte, son ambition de vouloir « réinventer l’amour au cinéma. » Présenté par son producteur, Vincent Maraval comme une œuvre hautement sexuelle et subversive qui « fera bander les garçons et pleurer les filles », LOVE se destine au choc avant même sa projection de minuit, hors compétition au festival de Cannes. Tous les signes extérieurs du scandale étaient là, comme accompagnateurs coutumiers des œuvres du réalisateur. Pourtant, cette aura de choc prémédité agace tant le film offre une leçon de cinéma qui exploite l’idée de choc, la dépassant même pour présenter une idée d’amour fou humble et réaliste.

LOVE relate en utilisant le principe du flashback, un chassé-croisé amoureux triangulaire teinté de regrets et de mélancolie. Ce qui fait choc dans LOVE, c’est le réalisme d’un amour bien éloigné du code Hays ou de toute autre censure instaurée dans les mentalités hors mandat et qui continuent à faire loi aujourd’hui. LOVE dépeint des relations probantes dans lesquelles amour et sexe sont indissociables. Au cinéma le tabou qui entoure le sexe dans ce qu’il a de réaliste, s’illustre dans des procédés de montage et des partis pris directifs qui livrent une image fantasmée, manichéenne et stérile du sexe. Avec LOVE, rarement la sexualité n’aura été montrée au cinéma comme une composante si évidente, si naturelle, d’une histoire d’amour.

Amatrice du cinéma de Gaspar Noé, j’étais réticente au visionnage de ce dernier film, apeurée par la ligne directrice adoptée lors de sa promotion, qui mettait exclusivement en avant une pornographie stylisée semblant au premier abord gratuite. La perspective d’un choc ne m’effrayait pas cependant, j’avais au contraire peur d’une énième déception ce qui a retardé mon intérêt pour cette œuvre. De plus, l’usage de la 3D me laissait perplexe tant je l’imaginais peu se prêter au genre du mélodrame. J’y voyais un caprice stylistique teinté de snobisme qui n’apporterait pas de réelle substance à l’ensemble.
Pourtant, c’est loin de toutes ces réticences que je suis ressortie de ce « choc » qui n’était finalement pas celui que j’attendais. Un choc fait découler « une émotion violente et brusque » il « produit de l’effet, est efficace » selon les définitions qu’en donne le dictionnaire. C’est précisément ce que je ressentais face à LOVE, aussi je trouve les termes si bien trouvés dans le cadre de cette œuvre qu’ils pourraient en être la critique directe.

La scène d’ouverture est une scène de masturbation en plan moyen fixe, où l’on est happé par la lumière et le travail de composition en cinémascope qui instaurent malgré ce large format, un sentiment de voyeurisme bienveillant. C’est une introduction inhabituelle dans l’intimité d’un couple sans fards. Telle une vision d’Adam et Ève païens sur qui reposent le choc d’une sexualité crue, muselée mille ans durant dans les salles obscures et qui entame timidement sa décomplexion. J’ai été choquée par cette scène qui pour la première fois, aborde la sexualité sans honte, sans cadrage superflu qui chercherait à dissimuler sous un voile de pudeur, un acte universel et fondateur d’humanité. La rupture entre cinéma traditionnel et pornographie est ici poreuse quant à l’explicite du contenu, pourtant le terme de pornographie, y perd son péjoratif habituel pour n’être que la peinture d’une sexualité (signification que l’on retrouve dans l’étymologie même du mot). C’est cette ambiguïté des genres qui peut choquer au premier abord. Le film est une expérience d’immersion à proprement dite qui utilise la 3D, la musique et la déchronologie pour plonger le spectateur dans un « tunnel de joies et d’excitations, d’accidents et d’erreurs » comme le définit Gaspar Noé dans une lettre d’intention qu’il rédigera en réponse aux détracteurs du film qui parviendront à en réduire l’échelle de distribution (suppression d’affiches, projection dans un nombre de salles réduites…)

Finalement, le principal choc auquel nous faisons face dans le cadre de LOVE est un choc esthétique grandement alimenté par l’usage judicieux de la 3D que Gaspar Noé justifie en ces termes : « Une image en trois dimensions donne l’impression, bien qu’enfantine et illogique, d’avoir emprisonné un moment du passé bien mieux qu’aucune image plane ne le pourrait » . La 3D augmente le processus d’identification du spectateur d’autant que le sujet de LOVE, le titre même du film, est universel ce qui démultiplie ce choc, en supprime les barrières de la raison. Le choc devenant ici, manifeste empiriste d’absolu, de quête du Saint Graal moderne, de l’amour fou sans galanterie superficielle.

Par Anna Longvixay
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017