Walter Benjamin – L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique

Walter Benjamin
L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique
1939
Essai
Allemagne

En 1939, Walter Benjamin publie la deuxième version de L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction technique. Son texte d’une quarantaine de pages est composé de seize points encadrés par un avant-propos ainsi qu’un épilogue. Nous allons suivre pas à pas son développement , afin de le résumer en prenant garde de ne pas dénaturer son propos.

En exergue est placée une citation de Paul Valérie datant de 1928 sur les Beaux-Arts. Il énonce que l’évolution dans le domaine technique va opérer sur l’art des modifications qui vont changer, à la fois la manière de créer, que l’art en soit. Dès lors, on ne pourra plus représenter les choses comme les Beaux-Arts le faisaient.

L’avant-propos est constitué d’une ouverture sur les thèses de Marx concernant l’analyse du mode de la production capitaliste. Selon lui, le capitalisme conduirait à un assujettissement des prolétaires puis, à la suppression de leur classe. Walter Benjamin souligne par la suite un aspect de l’argumentation de Marx souvent peu relevé (contrairement à la prise du pouvoir par les prolétaires, la lutte des classes), où il est question des tendances évolutives de l’art dans les conditions de la production. W. Benjamin relève la valeur polémique de cette idée car, selon lui, elle va à l’encontre des concepts traditionnels hérités, d’après le vocabulaire utilisé, de Kant (l’idée selon laquelle une création artistique était l’œuvre du génie, réalisée dans un contexte mystérieux). Ainsi l’application incontrôlée des thèses traditionnelle amènerait à des considérations fascistes (fascisme déjà bien à l’œuvre lors de la rédaction de son livre). W. Benjamin explique ensuite qu’il va introduire des concepts qui peuvent servir des exigences révolutionnaires dans la politique de l’art, mais impossible dans un but fasciste.

Dans le premier point, W. Benjamin s’intéresse aux raisons de reproductions d’œuvres artistiques dans l’histoire. À travers le temps il y a eu des reproductions afin de répondre à un besoin d’apprentissage de l’élève, de diffusion artistique ou encore, de ressources financières. Plusieurs techniques ont été inventées pour répondre à ces besoins. Pendant l’Antiquité par exemple, les Grecs utilisaient la fonte et l’empreinte pour reproduire leur statues de marbre, ou encore à la moitié du XIXème où avec la photographie la main se retrouve déchargée de tout geste artistique, seule l’œil rivé sur l’objectif fait des choix. W. Benjamin dit en fin d’argumentation que ces nouveaux modes de reproductions engendrent quelque chose d’intéressant pour les procédés artistiques eux-mêmes. Pour illustrer cette idée, nous pouvons reprendre l’exemple qu’il développe plus haut avec la littérature, en particulier son évolution à partir de l’invention de la technique de reproduction qu’est l’imprimerie.

Lors du deuxième moment, W.Benjamin s’intéresse à ce qui différencie l’original de la reproduction. D’après lui, c’est le « hic et nunc » (ici et maintenant). Il s’intéresse également dans ce même point à la différence entre reproduction manuelle et technique, cette dernière serait plus indépendante dans le sens où elle peut montrer des aspects de l’original insaisissable à l’œil nu (zoom de détails de tableau…) mais aussi, permet de transporter une œuvre dans des situations où l’original n’aurait pas pu se trouver (par exemple, un chœur de messe enregistré sur un disque écouté chez soi). Tout cela lui permet d’arriver à la notion de l’aura de l’œuvre, et de dire qu’à l’époque de la reproductibilité technique ce qui dépérit de l’œuvre d’art c’est son aura.

En troisième lieu, W. Benjamin s’intéresse à la perception et la manière dont elle évolue en fonction des différents modes d’existences. À l’époque où il écrit, il observe un changement de la perception qui débouche sur la perte de l’aura. Ce changement de perception vient du besoin social de posséder l’objet d’aussi près possible, on apprécie le sens de l’identique. L’objet artistique sort de son halo, est produit en série, et par voie de conséquence, son aura décline.

Dans un quatrième temps, le théoricien se penche sur la fonction rituelle de l’œuvre d’art. Il prend comme exemple une statue grecque qui est créée dans le but d’honorer un dieu. Avec la reproduction possible, l’œuvre d’art quitte son contexte et perd cette fonction. Il se passe ensuite une crise artistique, celle de « l’art pour l’art ». L’art perd son contexte, n’a plus de fonction rituelle et devient autotélique. De nouvelles conceptions artistiques émergent : on veut faire de l’art qui puissent être reproduit, avec la photographie en particulier, personne ne pourra déceler l’original. Il y a ainsi une perte de la valeur d’authenticité.

Le cinquième point est constitué d’un éclairage sur les différentes réceptions possible. Il y a la réception à valeur cultuelle et la réception à valeur d’exposition. Pour la valeur cultuelle W. Benjamin prend comme exemple une fresque sur une grotte préhistorique où les peintures seraient destinées plus aux esprits qu’aux spectateurs. Lorsque l’œuvre quitte le rituel où il est situé, la valeur d’exposition devient plus importante. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe avec la reproduction. La valeur d’exposition est nettement majoritaire aujourd’hui, et nous dénions la valeur cultuelle, magique.

Dans le sixième temps W. Benjamin met l’accent sur la photographie pour illustrer ce qu’il expliquait dans son point précédent. La photographie aurait perdu toute valeur cultuelle sauf dans les portraits, qui gardent quelque chose de mystique, de magique. Le portrait était l’une des première fonctions de la photographie :  il porte en lui le souvenir de personnes chers éloigné, disparus. Ainsi, la valeur cultuelle de l’image y a trouvé son dernier refuge.

En septième lieu, W. Benjamin continue sur la photographie pour parler de la querelle dont elle est à l’origine au XIXème. On se demandait alors si la valeur artistique de la photographie, comparée à celle de la peinture, est importante. L’auteur prend ici position pour dire qu’il aurait mieux fallu se demander si cette invention même ne transformait pas le caractère général de l’art. Il prend ensuite l’exemple du cinéma pour développer cette thèse.

Dans le huitième temps, il continue sur le cinéma pour s’intéresser à la différence entre l’acteur de théâtre et de cinéma. L’acteur de théâtre présente sa performance directement au public, tandis que l’acteur de cinéma réclame la médiation de tout un appareillage et cela engendre deux conséquences. D’une part, il y a des choix de la part des appareilleurs : ils prennent position sur la performance, lors du montage notamment, donc cela crée un premier décalage. En deuxième lieu, il n’y a pas de contact avec le public : l’acteur ne peut pas adapter son jeu en fonction des réactions. W. Benjamin dit alors qu’il n’y a pas de valeur cultuelle dans le spectacle de cinéma comme le spectateur n’a pas de contact avec l’interprète, il est face à un appareillage.

Walter Benjamin continue de s’intéresser au cinéma lors du neuvième temps en faisant un lien avec la notion d’aura. Il dit ainsi que l’acteur de cinéma ne doit pas jouer, ne doit pas « entrer dans la peau d’un personnage ». Il doit agir avec toute sa personne, et au cinéma, on peut jouer les scènes dans le désordre. Ainsi l’acteur de cinéma doit renoncer à son aura. En effet l’aura est lié à l’hic et nunc et l’acteur de cinéma n’est pas présent. C’est une reproduction de sa performance qui est présentée au public.

Le dixième point est un prolongement du sujet précédent : il tente de nous figurer le sentiment d’étrangeté que l’acteur de cinéma éprouve devant l’appareil. Il dit que c’est le même que celui de quelqu’un devant son miroir, et que ce miroir est dévoilé à tout le monde. Par cette image, Walter Benjamin nous fait comprendre que c’est l’acteur qui est dévoilé, non le personnage. Ainsi,  l’aura du personnage se réduit et dans le même temps l’acteur devient vedette.

Dans le onzième moment il s’intéresse à la vision de la réalité qu’offre le cinéma en comparant une fois de plus avec le théâtre. Il semble qu’avec un film parlant nous apercevons une réalité artificielle, dû à divers montage. Il  est alors impossible de faire face à une réalité immédiate, contrairement au théâtre. Il prend plus loin une comparaison entre le peintre et le caméraman et le mage et le chirurgien. Le mage et le peintre ont une vision globale, et le chirurgien et le caméraman ont une vision précise mais morcelée, qu »’il faut recoller selon une nouvelle loi.

Le douzième point est centré une nouvelle fois sur la réception, mais cette fois-ci axé sur le récepteur, ou plutôt les récepteurs. Lorsqu’un art devient abordable pour toute la société, il y a alors une séparation entre l’esprit critique et la conduite de la jouissance. On jouit sans critiquer de ce qui est conventionnel (le cinéma burlesque) mais, on critique ce qui est véritablement nouveau (le surréalisme).

En treizième, W. Benjamin fait une comparaison entre le cinéma et la psychologie. Le cinéma nous ouvre l’accès à notre inconscient visuel comme la psychologie nous ouvre l’accès à un inconscient pulsionnel. Le cinéma serait ainsi intéressant dans la manière qu’à l’homme de se représenter, grâce à l’appareil, le monde qui l’entoure. Il permet ainsi un agrandissement de l’aperception (de la prise de conscience de notre perception).

Dans le quatorzième moment W. Benjamin s’intéresse à la forme artistique et ses problématiques. L’art a pour tâche d’être en décalage avec son temps. Les formes artistiques tendent à produire des effets qui ne seront possible que plus tard, après modification de la technique. Il reprend la comparaison du cinéma et du dadaïsme : le cinéma a libéré, par sa technique, le dadaïsme

Dans le dernier et quinzième moment, il s’intéresse une dernière fois au cinéma et constate que la quantité fait la qualité. C’est à dire que si la masse a aimé, c’est de la qualité, il n’y a pas de jugement critique possible. Il trouve ainsi qu’en art, la réception par la distraction, est de plus en plus sensible. Cela est dû à un changement de la perception.

Benjamin vient clore son argumentation en reprenant la thématique fasciste abordé en ouverture. Il dénonce l’aliénation humaine par elle-même : avant elle créait en s’offrant en spectacle aux Dieux, aujourd’hui l’Humanité est elle-même pour jouir de sa propre destruction (dans cette perspective, Benjamin cite un poème de Marinetti sur la guerre).

Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017