Wajdi Mouawad et Krzysztof Warlikowski – Phèdre(s)

Wajdi Mouawad et Krzysztof Warlikowski
Phèdre(s)
2016
Théâtre
France

Cette œuvre consiste en une mise en scène regroupant trois interprétations de Phèdre et des éventuelles réinterprétations du texte en lui-même (par exemple remanié par Sarah Kane dans l’Amour de Phèdre). L’histoire est celle de Phèdre, à qui on vient annoncer la mort de son mari, Thésée. Celle-ci, éprise de son beau-fils Hippolyte est alors portée par le désir de s’unir à lui, sous le prétexte de la nécessité d’un héritier. Cependant, Phèdre constate la non-réciprocité de ses sentiments pour Hippolyte, car celui-ci est amoureux d’Atricie, la propre fille de la protagoniste principale. Phèdre décide alors de calomnier Hippolyte auprès de son époux, qui n’était en fait pas mort. Phèdre révèle finalement son imposture, puis met fin à ses jours à l’aide d’un poison.

Elle est considérée par Racine comme « l’héroïne de tragédie par excellence » par la fatalité à laquelle elle ne peut échapper, l’hybris dont elle fait preuve et enfin,par l’amour impossible.

Ici, je ne parlerais que de la première partie de Wajdi Mouawad, car, c’est la plus frappante dans la représentation du nu. La mise en scène est dans un style épuré, avec peu d’éléments de décor, principalement un lit au centre de la scène, une femme dansant dans l’espace scénique et une chanteuse accompagnée par un guitariste. Des lumières jaunes et roses installent une atmosphère érotique.

Apparaissant d’abord en nuisette, Isabelle Huppert en Aphrodite puis Phèdre, représente une pudeur qui va finir par se libérer sur scène. Ses cheveux longs et blonds, symbole de féminité dans l’imaginaire collectif, et du lit vont être les premiers indices de la suite de la pièce. Alors qu’Isabelle Huppert s’étend sur le lit, côte à côte avec  Hippolyte, se positionnant de manière de plus en plus suggestive.

Une simulation d’onanisme se met en place par l’actrice par un costume, assez subversif, avec un sous-vêtement couleur chair et du faux sang, se donnant complètement à Hippolyte, qui se refuse à elle, elle finit par se faire vomir et l’insulte.

Dans ce segment, nous ne sommes pas purement dans le nu brut, mais dans l’illusion par une énumération d’éléments de mise en scène. La guêpière, les talons, la nuisette, les cheveux, le lit, le costume, la simulation bruitée d’un orgasme, tout cela avec la projection en fond de la scène zoomée et en vue du dessus, avec de rares transitions en fondu enchaîné et en plan fixe.

La mise en scène de la nudité et de la pseudo-libération sexuelle est extrêmement contrastée, basculant dans le « trash » sans réelle nécessité d’existence. Certes, le personnage de Phèdre est en permanence au bord du gouffre de ce qui est politiquement correct: l’inceste et la passion qui la dévore placent le personnage au centre de cette atmosphère qui se doit d’être propice à l’inconfort. Pour autant, le passage du personnage d’Aphrodite à Phèdre est compliqué et, par conséquent, au moment de l’onanisme nous ne savons plus à qui nous avons affaire. De plus, la suggestion de l’acte sexuel par les gros plans sur le sous-vêtement chair, censée représenter le sexe féminin, semble réellement inutile, tout autant que le sang qui en coule.

La plupart des éléments de mise en scène de ce segment m’ont paru incompréhensibles, pas parce que je ne comprenais pas l’histoire, mais purement et simplement, car tout me paraissait extrêmement superficiel. Le problème de la nudité est qu’elle reste en surface au lieu de livrer une personnification de Phèdre dévorée par le plaisir. Celle-ci pourrait être nue par exemple, mais cachée sous ses draps. La mise en scène est trash, mais pas trop non plus. Elle est subversive, mais dans le politiquement correct, en montrant les règles, mais sans réel message relié à la pièce. Phèdre représente une certaine libération sexuelle de la femme, mais dans ce cas, soit, on le fait dans la suggestion, soit dans l’aspect brut, mais la position de la scène sur la nudité ne fait que placer le spectateur dans un paradoxe de compréhension et ne lui permet pas d’apprécier le réel talent de Huppert et Warlikowski.

J’ai bien mieux aimé la version de Sarah Kane, car, certes, il y a suggestion de masturbation et de fellation, mais ce qui nous prend au corps est bien plus la violence et l’honnêteté d’Hippolyte et Phèdre l’un par rapport à l’autre, leur rapport d’interdépendance les plaçant dans ce cube où ils partagent le même air (à la manière de Norman Bates et sa mère dans Psychose en fond sur la télé).

Par Lucile Massiot
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017