Tadeusz Kantor – La classe morte

Tadeusz Kantor
La classe morte
Théâtre
1975
Pologne

En 1974 à Cracovie, l’artiste polonais (peintre, scénographe, théoricien, metteur en scène, entre autres) Tadeusz Kantor a créé et mis en scène celle qui deviendrait l’une des pièces les plus marquantes de sa carrière : La Classe Morte.

Dans ce spectacle, il met en scène, non pas de manière linéaire, mais plutôt avec une logique de rêve (des vagues de souvenirs et de situations), un groupe de vieillards qui retournent, partent et retournent de nouveau, aux vieux bancs d’une école, pour revivre leurs souvenirs d’enfance.  Ils le font en portant chacun un mannequin, qui représente l’enfance que leur homme adulte a tué.

Lors des représentations de La Classe Morte au Théâtre de Chaillot à Paris, en octobre 1977 dans le cadre du Festival d’Automne, la pièce a produit un choc chez les spectateurs, parmi lesquels certains metteurs en scène de renom tels que Peter Brook et Claude Régy. Michelle Kokowoski –programmatrice à l’époque du Festival de Nancy dirigé par Jack Lang- a décrit ce qui s’est passé en disant : « Vous pouvez difficilement imaginer la réception du spectacle lors de ses premières représentations françaises. Certaines personnes pleuraient, d’autres pleuraient et riaient à la fois. À la fin du spectacle, les gens ne partaient pas, ne parlaient pas, ils étaient comme en une sorte de rêve éveillé. Quant aux professionnels, ils ont immédiatement eu le sentiment de se trouver face à une œuvre révolutionnaire».

Le choc qu’a produit La Classe morte et le fait qu’elle soit considérée comme une œuvre révolutionnaire, réponds, peut-être, d’une part à l’esthétique que Kantor y affirme et qui s’éloigne d’un certain nombre de conventions théâtrales de l’époque ; et d’autre part, à l’utilisation des mannequins et la manière dont ils permettent d’aborder les sujets principaux de la pièce : l’enfance, la vieillesse et la mort.

Par rapport à son esthétique, en ce qui concerne le jeu des comédiens, Kantor s’écarte entièrement du jeu naturaliste. Pour lui, l’acteur ne doit pas ressembler ou essayer de représenter des êtres humains quotidiens sur scène, mais au contraire, il doit  avoir une présence énigmatique et étrangère qui devrait à la fois attirer et repousser l’attention du public. Il devrait être, comme il le dit, une sorte de spectre venu de l’autre côté du Styx, dans un état intermédiaire entre la vie et la mort, entre la présence et l’absence.

De ce fait, le jeu de ses acteurs est caractérisé par un manque d’expressivité quotidienne dans leurs visages et leurs corps. Les visages ressemblent à des masques, et la gestuelle des corps – fait de mouvements saccadés qui semblent involontaires ou mécaniques- renvoient aux marionnettes.

En outre, la capacité d’agir des comédiens est soumise aux obstacles qui déterminent ou empêchent leurs actions et leurs déplacements, tels que les bancs de l’école ou les mannequins qu’ils doivent porter ; et à la présence du metteur en scène sur l’une des côtes du plateau, d’où il leur donne des indications au fil du spectacle.

Ce dernier aspect –ses interventions pendant les mises en scène- est un autre point important de l’esthétique de Tadeusz Kantor : les rapprochements entre la fiction et le réel. Il vise à s’écarter de toute représentation (illustration) de la réalité sur le plateau, et pour le faire, il met en marche certaines astuces, comme par exemple, le fait d’intervenir pendant le spectacle pour «casser» la fiction ou l’illusion, aussi bien pour les spectateurs que pour les comédiens4.

D’autre part, en ce qui concerne le mannequin, Kantor était l’un des premiers au XXème siècle à introduire cet élément dans la mise en scène théâtrale. Le public qui a vu La Classe Morte à cette époque a pu être choqué par la force d’expressivité que l’inanimé –le mannequin- peut donner aux êtres animés –les comédiens-.  Et encore plus dans ce cas, car la manière dont l’inanimé (l’inerte) agit sur les êtres animés (les vivants) est ici retourné ou bouleversé par le fait que les vivants paraissent eux aussi être quelque peu inanimés (dépourvu de vie).

Ainsi, c’est par la juxtaposition de ces deux éléments –les mannequins et les comédiens-, et par les ressemblances, les décalages, et les contrastes entre eux ; que l’aura de la mort envahit la scène. Et c’est sous cette aura -si concrète- que les sujets de l’enfance et la vieillesse atteignent la sensibilité des spectateurs.

Enfin, il faudrait dire que si la pièce a produit un choc esthétique, celui-ci n’est pas dû à un seul élément de la mise en scène, mais à l’assemblage que Kantor fait de tous les composants. En effet, il n’y a pas de hiérarchie entre les différents éléments (comédiens, mannequins, texte, musique, scénographie, etc.) mais chacun a une place indispensable, et en même temps, ils travaillent tous au service de l’œuvre dans son intégralité.

Par Laura Melissa Sotelo 
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017