Simon Stone – Les trois sœurs

Simon Stone (Mise en scène), d’après Anton Tchekhov
Les trois sœurs
2017
Théâtre
France

La violence est dans l’art depuis la nuit des temps. Les scènes de chasse et de combat furent les premières traces d’art retrouvé par exemple. Trouver une œuvre violente n’est donc pas si complexe en soi. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qui est violent.  Nous considérons les tragédies classiques française comme des œuvres d’une beauté poétique grandiose. Cependant, nous pourrions nous mettre d’accord sur la violence des histoires qui sont présentes dans ces pièces. Entre meurtres, infanticides et incestes, nous n’avons que l’embarras du choix. Pourtant, on pourrait parier que la première image d’une œuvre violente que l’on pourrait avoir à l’esprit ne serait pas Médée ou Phèdre, mais bien plus un film d’horreur ou encore une œuvre contemporaine qui nous brusque dans nos habitudes. Je vais donc partir de l’idée que les œuvres véritablement violente sont assez proches de nous (par la langue, le contexte, etc.) et ont une forme qui bouscule nos attentes.

Il y a deux mois, j’ai eu l’opportunité d’assister à un concert de rap. L’artiste en question était le rappeur de la Seine St Denis, Sofiane. Ses textes, comme ses clips, sentent bon la cité et sa violence. Le champ lexical y est souvent guerrier et la musique ne recherche pas la mélodie , mais la brutalité (d’ailleurs ne dit-on pas d’une chanson de rap qu’il est « lourd » ou que c’est une « frappe »). J’ai assisté au spectacle avec une amie. Celle-ci, en regardant les « pogos » (danse qui consiste à ce jeter les uns contre les autres) et en écoutant le rappeur imiter les bruits de coups de coude ou de pistolet, a détesté. Ce concert avait, si l’on suit ses propos, tout pour être un  réceptacle à violence ignoble. Ayant participé à cette violence et n’ayant trouvé cela ni choquant ni dangereux, je me suis aperçu qu’il y avait une violence légitime et une autre qui était mal vue.

J’ai donc décidé par le biais de ce court travail de parler d’une œuvre qui, à bien des égards, est d’une violence symbolique et légitime.

Avec les Trois Soeurs, Simon Stone prend, remanie et modernise le texte de Tchekhov. La pièce prend le quotidien comme trame de fond, symbolisée par la maison de campagne et qui fait place, dans la mise en scène de Stone, à un loft d’architecte perfectionné avec une PlayStation 3 et une cuisine américaine. La scénographie ingénieuse de la maison apparaît cependant semblable à celle d’Ibsen Huis joué durant le festival d’Avignon 2017. Le spectacle se veut esthétiquement proche du cinéma, mais n’arrive qu’à s’approcher d’un semblant de télé réalité ou de sitcom.  L’œuvre de Tchekhov devient « pop » à souhait par les références fréquentes au réel et la prolifération de citations d’œuvres qui parlent à la génération 25-30 ans actuelle.

J’ai trouvé ce spectacle d’une grande violence. Pourtant, rien ne fait choc : nous ne sommes pas dans une esthétique trash, il n’y a pas de scènes obscène. Toutefois, le spectacle, qui se veut inclusif et populaire, m’a fait l’effet inverse. Je me suis senti exclu, en premier lieu par l’omniprésence de la réalité ambiante. Là où dans certains spectacles (en général, les spectacles qu’on pourraient rapprocher de l’esthétique du choc) il est montré le réel sans médiation, ici on préfère parler du réel en faisant une sur-médiation entre le spectateur et le spectacle. Cela est du en grande partie à cause de la scénographie : la séparation du comédien et du public par les murs de la maison ou encore, la spatialisation du son qui crée un décalage. Le décalage donne l’impression que le spectacle n’a aucun aspect politique. Cependant, l’omniprésence des références aux actualités ou encore à la culture populaire doit être quelque chose d’éminemment politique. La perte de politisation de ce qui est mit sur scènes fait des Trois Sœurs  un spectacle qui n’a rien de populaire mais qui est au contraire très excluant. En vérité, Simon Stone permet de donner un contexte à son œuvre grâce à l’actualisation du texte. Mais le fait de ne donner à des expressions populaires qu’une place esthétique semble brutal. On se retrouve dans une réalité si lointaine de tout réel, on décontextualise le contexte. J’ai l’impression de voir des personnes faire du jeunisme (« wesh, hastag pas mdr »), j ‘ai l’impression de voir un cours politique de bistrot (exemple avec Trump)… et au final, le lissage complet de toutes ses choses opère une violence sur moi . Derrière son côté populaire, Simon Stone s’accapare la réalité pour en faire son terrain de jeu. Seulement, tout semble forcé et on assiste, soit à du paternalisme, soit à de l’appropriation culturelle. Loin de l’idée de faire un « théâtre élitaire pour tous », on montre des bobos (qui on remplacés les bourgeois russes) parler à des bobos.

La volonté politique du spectacle est dévoyée. Les Trois Sœurs  ne fait  rien d’autre que de réaffirmer l’élitisme et la non présence des classes populaires aux théâtres. C’est une violence symbolique, mais qui laisse apparaître une véritable interrogation : le théâtre professionnel peut-il être populaire ?

Par Matthieu Bousquet
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017