Simon Stone – Ibsen Huis

Simon Stone
Ibsen Huis
Théâtre
2017
France

Il est important de contextualiser afin de comprendre pourquoi j’ai trouvé l’œuvre spectaculaire. J’ai eu la chance de vivre au sein du lycée Saint-Joseph durant tout le festival d’Avignon en 2017 dans le cadre des CEMEA pour lesquels je suis bénévole. Ainsi, j’ai vu toute la construction de la scénographie et ma fenêtre donnait directement sur ce plateau. J’avais extrêmement hâte de pouvoir voir le spectacle dont je n’avais que des bribes depuis plusieurs jours. Chaque soir, comme une bande-annonce, j’entendais la musique oppressante et lourde du spectacle résonner dans les murs du lycée, les cris des comédiens, bref : j’étais impatiente. Grâce à mon travail dans l’équipe des dialogues, j’ai rencontré l’équipe du spectacle à plusieurs reprises, et cela a renforcé mon impatience : ceci a ajouté au sentiment d’exaltation du spectaculaire lors du visionnage de la pièce.

Ensuite, je n’avais jamais vu le travail de Simon Stone, mais je savais que la pièce était jouée par le Toneelgroep Amsterdam. Ces acteurs sont toujours brillants, splendides, précis, et me transportent. J’avais vraiment hâte, comme une groupie, à l’idée de voir jouer Hans Kesting et tous les autres.

Pour résumer brièvement l’intrigue, Simon Stone reprend les figures des personnages d’Ibsen pour en faire un nouveau huis clôs familiale. La pièce s’appelle « La Maison d’Ibsen », et déjà la scénographie influence le titre. Simon Stone interroge les piliers familiaux en temps de crise, ou comment la famille survie aux erreurs du passé ? Que gardons-nous en héritage ? Pour répondre à cela, nous suivons la famille sur plusieurs générations afin de mieux saisir des enjeux et les blessures qui la malmènent.

J’ajoute ici un résumé plus précis de la fable par Culturebox :

« La coexistence de différentes époques ajoute une dimension de fatalisme. Ainsi Caroline (interprétée respectivement par Janni Goslinga ou Eva Heijnen selon qu’elle est adulte ou adolescente), nièce de Cees, abusée sexuellement par celui-ci quand elle était enfant. Après avoir sombré dans la toxicomanie et l’alcoolisme, elle tente de se reconstruire. Ce qui signifie rebâtir la maison qui, entre temps, a brûlé et en construire d’autres sur le même modèle pour en faire des lieux d’accueil pour réfugiés. Mais le projet capotera.

Caroline qui, par ailleurs, veut réhabiliter Daniel, son frère, le véritable concepteur de la maison – Cees en l’affaire n’est qu’un usurpateur, il s’est approprié après coup l’œuvre de son neveu. Il y a aussi Jakob et Lina. Lina est la fille de Cees. On imagine qu’elle et son frère Sebastiaan ont subi les mêmes abus sexuels que leur cousine. Pourtant Lina soutient son père jusqu’au bout. Avec forcément des effets désastreux quand sa fille Fleur sera à son tour abusée par Cees. Au début du spectacle on les découvre, elle et Jakob, en jeunes fiancés se querellant avant leur mariage déjà problématique. Mais aussi dans les années 2000 alors qu’ils sont séparés. Comme si le temps était élastique; comme si le présent était un reflet déformé, voire aggravé du passé. Car de la maison en bon état au début de la représentation, il ne reste à la fin plus qu’un squelette ».

La scénographie ajoute du spectaculaire à la pièce. En effet, tout se joue dans une gigantesque maison pratiquement tout en verre. Le spectateur est d’emblée en position de voyeur et les comédiens sont sonorisés afin que nous puissions être plongés dans cette maison des horreurs en la voyant de l’extérieur Au départ, on trouve cette scénographie splendide. Une vraie maison est là, sous nos yeux, habillés de meubles du quotidien, et le tout en transparence. Cette structure imposante va devenir de plus en plus inquiétante, comme un personnage qui manipule et rend fous ses habitants. Elle tourne sur elle-même pour nous laisser voir d’autres pièces, d’autres angles.

Elle prend des dimensions impressionnantes, et lorsqu’elle n’est pas mise en lumières de l’intérieur, elle devient vraiment terrifiante.

Petit à petit, pendant les entractes, la maison change de visage, des années 60 à aujourd’hui. Des techniciens viennent au plateau et la déconstruisent.

Cette étape de maison « en chantier » sert à plusieurs temporalités, lors de la première construction de la maison comme de sa reconstruction. Elle semble impossible à éliminer, les personnages sont bloqués dans une sorte de syndrome de Stockholm ne cessant de la reconstruire. Elle subsiste toujours, bien qu’elle est le lieu des pires horreurs familiales, des non-dits et des blessures. Déjà, à l’origine de cette maison, il y a un mensonge. On nous dit que c’est l’architecte Cees Kerkman qui a bâti cette maison, alors qu’elle est l’oeuvre d’un autre membre de la famille, Daniel. Les fondements du lieu de l’intrigue sont dans le mensonge. Plus tard, c’est Caroline, victime des violences de Cees au sein de cette maison de vacances, qui tente de la reconstruire.

Finalement, la pièce se termine sur un incendie gigantesque, motif récurrent chez Ibsen et spectaculaire à voir sur scène. Sur une chanson interprétée par Sebastiaan (adulte et séropositif), la maison tourne, de plus en plus vite. La mère de Sebastiaan le tue sur sa demande, et Caroline jette de l’essence dans la maison toujours en mouvement. Puis l’allumette craque, les temporalités se confondent toujours plus, et la maison s’enflamme sur un fond de bruit très sourd. L’image est spectaculaire, impressionnante et saisissante et m’a vraiment marqué.

Par Romane Rivol
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017