Piotr Pavlenski – Bouche cousue / Fixation/ Séparation

Piotr Pavlenski
Bouche cousue / Fixation/ Séparation
Performance
2012-2013-2015
Russie

Transgresser c’est aller à l’encontre des lois, des dogmes et des interdits de la société. Sur les scènes de théâtre, ces tabous sont bien souvent franchis. L’arrivée de la performance sur les plateaux nationaux fait que la barrière entre la fiction et  le réel est très fine. Le théâtre performatif met en danger les corps et transgresse les codes. Cependant, la transgression a lieu dans un cadre bien délimité et qui rassure le spectateur. Même en rompant le quatrième mur, faisant participer le spectateur, le théâtre est un lieu de transgression. La transgression des corps, bien que plus puissante que toute autre transgression (car elle touche à l’intime), reste dans cette logique de liberté totale que les scènes contemporaines proposent. Le spectateur de théâtre doit y être préparé.

C’est dans la rue que naît  la véritable transgression. Lieu de déplacement et lieu de rencontre inédits, la rue est à la fois le lieu où le quotidien et l’imprévu se mêlent. Ce n’est pas une surprise de voir les actions politiques les plus populaires, comme les manifestations, sortir de la rue. En effet, c’est en prenant possession de la rue que l’on prend le pouvoir. Ce n’est donc pas anodin d’entendre les classes mises en danger par les manifestations artistiques ou simplement politiques parler de « prise en otage ».  En effet, la rue ne laisse pas passif, car toutes les transgressions qui y sont faites ne sont pas normal pour le passant. On l’agresse. On le choc pour le pousser à réfléchir.

Dans le cas du performeur russe Piotr Pavlenski, on touche à une transgression triple. Déjà, la pudeur mise à mal puis, la violence faite au corps et enfin, le fait que cela ait lieu en public dans des endroits célèbres. Piotr Pavlenski est le symbole même du corps transgressif. Artiste performeur russe, il souhaite faire de son corps un véritable slogan politique. Activiste anarchiste, il prône en pleine rue ses idées qui dérangent l’état russe.

Trois de ses performances les plus connues sont :

BOUCHE COUSUE , 2012

ource : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/piotr-pavlenski-l-insoumis-qui-provoque-poutine_1825836.html

Le performeur se coud la bouche devant la Cathédrale Notre-Dame-de-Kazan. Les deux lèvres sont tenues par du fil rouge. Cette performance a été réalisée en 2012 en réaction à l’arrestation des Pussy Riot. Ce groupe de femmes était rentré cagoulés dans une église orthodoxe et a fait « une prière punk ». Ceci a valu à trois membres de ce groupe d’être condamnées. Pavlenski montre par cette performance que la liberté d’expression n’existe pas en Russie et qu’on veut faire taire les artistes.

FIXATION, 2013

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Le scrotum cloué sur la Place Rouge, devant le Mausolée de Lénine. Selon l’artiste, cette performance constitue « une métaphore de l’apathie, de l’indifférence et du fatalisme politique de la société russe contemporaine ».  Lié par les testicules à l’une des plus grandes figures communistes en se clouant le scrotum, l’artiste montre la stérilité d’un modèle politique dépassé auquel s’attache la Russie.

SÉPARATION, 2015

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« Le couteau sépare le lobe de l’oreille. Le mur en béton de l’institut sépare la société saine d’esprit des malades mentaux »  explique Piotr Pavlenski pour décrire son acte. À l’aide d’un immense couteau de boucher, il se coupe un morceau d’oreille en haut de l’Institut Serbski après y avoir été interné pendant 21 jours. Par ce geste il exprime  le fait que la psychiatrie est utilisée sous le régime de Poutine comme outil pour se débarrasser des artistes qui dérangent.

Si les performances de Piotr Pavlenski sont aujourd’hui si choquantes, extrêmes, politiques et transgressives, c’est bien à cause du cadre choisi. Fortes, ces œuvres interpellent du citoyen à l’homme politique russe. Son corps mutilé comme signal d’alarme, Pavlenski ne s’embarrasse pas d’un quatrième mur, il montre frontalement. Que faire, sinon réfléchir et prendre position, quand on ne peut plus applaudir ?

Par Matthieu Bousquet
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017