Pierre Pinoncelli – Un doigt pour Ingrid
Pierre Pinoncelli
Un doigt pour Ingrid
2002
Performance
Bogotá
Pierre Pinoncelli est un artiste français né en 1929 à Saint-Etienne. Il a commencé sa carrière en tant que peintre pendant les années cinquante, et par la suite il s’est tourné davantage vers l’art de la performance. C’est par ce dernier que son nom est devenu connu car «ses actes de rue» (happenings et performances) ont suscité des nombreux scandales et ont été souvent qualifiés de subversifs ou provocateurs.
Avec un peu d’humour, il décrit lui-même la manière dont son art a fait scandale en disant : « Arrestations, blessures, procès… Mon nom passe de la rubrique artistique à celle des faits-divers et des chiens écrasés[1] ».
Après plus de trente ans de carrière artistique derrière lui, en 2002, Pinoncelli a été invité à participer à la cinquième édition du Festival International de Performance de la ville de Cali, en Colombie, et à réaliser la performance de clôture. Il a accepté la proposition et le samedi 8 juin la performance, grosso modo, s’est déroulée ainsi :
À l’intérieur du Musée La Tertulia à Cali, Pinoncelli monte sur une petite scène – habillé en noir et en portant un masque de loup- et il lance vers le ciel une colombe. Puis, il renverse ses vêtements et enlève le masque pour se retrouver, face au public, tout habillé en blanc et avec une croix dessinée sur le front et le drapeau de Colombie sur chaque joue. Ensuite, il avance vers l’avant-scène où se trouve une petite table en bois et une hache, il prend la hache, et devant tous les spectateurs présents, il coupe la dernière phalange du petit doigt de sa main gauche. Après, avec le sang qui coule de son doigt il dessine un cœur sur sa poitrine, et avec un aérosol il écrit sur le mur blanc du fond de scène le mot FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), tout en demandant la liberation d’Ingrid Betancourt et en criant Liberté pour Colombie. ! Enfin, on lui apporte un verre avec formol dans lequel il met la phalange, et il est raccompagné pour sortir et aller à l’hôpital[2].
En effet, Ingrid Betancourt –femme politique colombo-française- avait été kidnappé par le groupe de guérilla en février de la même année, lorsqu’elle menait sa campagne présidentielle, et le gouvernement colombien n’avait toujours pas réussi à la faire libérer.
Cet acte de Pinoncelli, peut être considéré, non seulement comme une œuvre violente, mais aussi l’une qui est spectaculaire et extrême, par différentes raisons. D’une part, par le geste même de s’amputer une partie de son corps devant un public qui, bien entendu, ne s’attendait pas à voir un acte pareil. D’autre part, car l’acte est fait dans un pays étranger et en demandant la liberté d’une personne avec qui l’artiste n’a pas des liens, et dont il dit lui-même, il ne connaissait pas beaucoup – ni du pays ni de l’histoire de Betancourt- avant d’être invité. Finalement, l’acte –au-delà de comporter un risque physique imposé par l’artiste sur son corps- comporte aussi un danger encore plus important contre sa vie, dû à la situation de haute tension politique et des graves problèmes d’insécurité qui vivait le pays en ce moment.
Sur ce dernier danger et sur la performance, Pinoncelli parle, encore une fois avec humour, une décennie d’années plus tard, en disant : « Je ne suis pas con. Je me suis coupé le doigt que j’utilise le moins. J’ai eu plus peur des FARC qui m’ont menacé et grâce auxquels j’étais obligé à avoir quatre gardes du corps et à quitter Colombie très vite. Et surtout, j’ai eu peur du reproche que Marie Claire (sa femme) allait me faire en rentrant [3] ».
Par Laura Melissa Sotelo
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017
[1] Artcotedazur.fr. (2017). Pierre Pinoncelli, Le dernier coyote. In Art Côte d’Azur [en ligne] https://www.artcotedazur.fr/artistes,181/art-contemporain,183/pierre-pinoncelli-le-dernier-coyote,2885 [Consulté le 23 octobre 2017]
[2] Gassiat, Q. et Aulas, A. Rencontre avec Pierre Pinoncelli 2/3 : Le doigt coupé. In sciencepi [en ligne] https://sciencespi.org/rencontre-avec-pierre-pinoncelli-2-le-doigt-coupe/ [Consulté le 23 octobre 2017]
[3] Abdallah, R. La amputación como una de las bellas artes. In SoHo [en ligne] http://www.soho.co/historias/articulo/la-amputacion-como-una-de-las-bellas-artes-por-ricardo-abdallah/33255 [Consulté le 23 octobre 2017]