Paul Ardenne – Extrême: esthétique de la limite dépassée

Paul Ardenne
Extrême: esthétique de la limite dépassée
2006
Livre
France

Dans son livre Extrême: esthétique de la limite dépassée  paru en 2006, Paul Ardenne explique que nous vivons dans une société qui éprouve une grande fascination envers le spectacle de l’extrême. Cette fascination serait provoquée par notre besoin de vivre des sensations fortes afin de donner un sens à notre existence. Pour l’auteur, nous vivons dans « une époque émotionnelle » où l’homme cherche à combattre l’inertie, la lassitude de la vie ou encore la quotidienneté,  en se confrontant à l’extrême.

Ardenne définit l’extrême comme le fait d’aller toujours plus loin, de repousser les limites, à commencer par l’artiste qui repousse constamment sa propre limite. De plus, l’extrême cherche à abolir la notion de la représentation en jouant sur la brèche avec le réel. La médiation s’annule, car dans la plupart des cas, le réel prend le dessus sur la représentation.

On retrouve cette dimension dans le domaine de la performance, où l’artiste effectue une expérience de lui démesurée. L’extrême devient un challenge, un accomplissement personnel. C’est le cas de Serge Oldenbourg qui joue avec sa propre vie sur le principe du hasard (avec la roulette russe) par plaisir et besoin de faire quelque chose qui n’avait jamais été vu sur scène. L’homme moderne est alors prêt à tout, il extrémise sa vie, se met en danger de mort, se sacrifie afin d’incarner la figure du champion. Plus qu’un désir narcissique d’incarnation d’un idéal, un champion héroïque, l’extrême peut permettre une réalisation de soi, et deviendrait parfois vitale. Le désir de jouissance serait devenu alors maximaliste. Pour réussir sa vie, il faudrait l’extrémiser. L’homme va alors réaliser son besoin d’extrême par le biais de l’art et du spectacle.

Confronté à la violence quotidienne (images horribles à la télévision, au journal télévisé, au cinéma…), l’homme assiste à une banalisation de la violence et de l’extrême. Même l’extrême ne serait plus assez extrême. Il a toujours besoin de plus, et jouit d’événements horribles (catastrophes naturelles, guerres, enfants assassinés, noyés sur la plage, meurtres, corps déchiquetés, torturés).

Cela se retrouve particulièrement dans le domaine de la pornographie où cela semble aller jusqu’à l’inadmissible de la représentation en mettant en scène l’insolite (animaux pénétrés, excréments, handicapés, clochards, femmes à pénis, viol, torture). Et cela ne fait plus choc, car nous sommes habitués à l’horreur, notamment par le biais d’Internet qui participe à sa démocratisation.

Paul Ardenne affirme que l’extrême ne peut se vivre qu’au présent. Il est donc difficile de l’analyser car, l’émotion submerge la pensée. C’est avec cette importance accordée au présent que le spectacle de l’extrême s’opère, en préférant jouer avec le réel plutôt que de défendre la notion de représentation.

Plus encore, l’auteur montre que le spectacle de l’extrême n’est pas cathartique, il n’a pas une fonction d’exutoire, ne libère pas les pulsions mais, fait mal et donne envie de vomir. Il bouscule le spectateur et l’entraîne au bord de l’évanouissement ou du malaise physique. Cet art de la dégradation n’a plus aucune limite. Il brise les codes de la représentation : il ne s’agit plus de faire semblant ou d’imiter mais de se confronter au réel aussi brutal soit-il. Ce phénomène s’expliquerait par une volonté de détruire l’homme et son image. C’est pourquoi certains artistes défendent  un culte de la laideur et de la monstruosité, dévoilant un homme bas, qui pisse et qui chie, qui est faible, fragile, un homme malade que l’on peut détruire facilement. Dans cette perspective, Freud explique que l’homme possède une brutalité intérieure et des pulsions destructrices.  Ainsi, l’art permet alors d’esthétiser cette brutalité en montrant l’horreur et le non convenable.

Paul Ardenne constate donc que nous vivons actuellement dans une crise culturelle et ontologique grave : l’homme est tellement accoutumé à l’extrême et à l’horreur, qu’il en deviendrait insensible. Il reste cependant optimiste car, selon lui, l’humanité n’est pas perdue. Il suffirait de renvoyer « le balancier de nos passions dans l’autre sens ». L’homme pourrait alors se « désextrémiser » pour vivre autrement.

Par Chloé Rey
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017