Ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Astruc – Représenter l’horreur

Ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Astruc
Représenter l’horreur
2015
Ouvrage théorique
France

Comme le rappel l’ouvrage dirigé par Frédéric Astruc, l’horreur est  intemporelle. Chaque culture a besoin de spectacles, de fêtes et de sa dose d’horreur (les Romains, par exemple, avaient les gladiateurs). Comme l’écrit Maxime Scheinfeigel dans l’introduction de l’essai : « Il n’est pas de société humaine qui ne soit habitée par des êtres doués de quelque pouvoir ou quelque vice ou tare dont ils abusent ». Partant donc du principe que l’horreur est omniprésente dans l’art, plusieurs chercheurs, professeurs et maîtres de conférences, on écrit un ouvrage pour référencer et analyser ce qui « fascine ou révulse[1] ». Les auteurs de l’ouvrage proviennent de domaines de recherches différents comme l’histoire, la psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie ou encore les arts. Le livre Représenter l’horreur nous montre les symboles et les discours qui se cachent derrière les images.L’ouvrage est découpé en chapitres qui abordent chacun un thème précis associé à une approche sociologique de l’art. Plus encore, chaque exemple est contextualisé par le biais de l’histoire et des grands courants de pensées de son époque de création.

Le livre est divisé en deux parties: la première s’intitule « Le cinéma et autres arts » et le second « Les autres arts et le cinéma ». La première partie est constituée de trois chapitres. Le premier se concentre sur les photographies de Zoya, une jeune russe pendue et humiliée par les Nazis. L’auteur analyse  comment cinq photographies du corps de la victime Soviet ont permis l’avènement de morts esthétisées au cinéma. Le deuxième chapitre aborde le cinéma sur moderne japonnais gore appelé le J-Horror. Enfin, le dernier chapitre met en parallèle la production des films de série Z gore par HG Lewis dans le sud des USA et la culture du lynchage dans les états ségrégationnistes.

La second partie du livre est elle aussi divisée en trois. L’auteur du premier chapitre montre comment toutes les représentations de l’horreur sont présentes dans la peinture et cela, depuis la grotte de Lascaux.  Ensuite, l’ouvrage développe sur l’image des morts comme memento mori attirante et éprouvante. Enfin, le dernier chapitre s’intéresse au cirque depuis ses origines et aux liens intimes qui se développent entre corps et horreur (sur scène particulièrement).

À bien des aspects, les six articles (qui n’ont pourtant rien à voir) se répondent. Trois axes nous intéressent particulièrement : le cinéma, le divertissement par rapport à l’histoire, la corporalité et la psychologie.

Le septième art : des références et des influences.

Le cinéma est certainement le dernier art majeur à être apparu. La machine qu’est le cinématographe permet tout. Les limites sont sans doute moindres que d’autres arts comme la musique ou la peinture dans la mesure où ce médium , comme le théâtre, est un art évolutif qui peut condenser tous les autres. Cependant, il faut être conscient que le cinéma touche un public bien plus large. Les exemples cinématographiques sont plus marquants car, plus intégrés dans l’inconscient collectif. C’est le cas pour le meurtre de Marion Crane dans Psychose, plusieurs fois cités.  Aussi, on peut voir le cinéma à la fois, comme un terreau fertile et à la fois, comme une  plante en train de mûrir.

Plus encore, même dans les parties sur les autres arts, le cinéma ne disparaît pas totalement. Freaks et Elephant Man sont cités dans l’article de Goudard sur le corps du cirque, montré dans sa laideur ou sa misère. Les exemples cinématographiques sont tout de même plus populaires et permettent au lecteur d’aller peu à peu vers des exemples ou des idées plus robustes. Tout l’article sur la J-Horror de Benjamin Thomas s’appuie sur des films populaires comme Ring ou The Grudge pour aller vers des idées complexes : la perte de temporalité, le non rapport à autrui…  Avec des films populaires et de genre, l’ universitaire arrive à faire transparaître les grandes angoisses japonaises.

Réfléchir sur le divertir

Représenter l’horreur est un  ouvrage qui trouve son importance dans sa manière de ne pas faire de différence entre œuvre d’art et film de série Z. Dans cette logique, l’article sur HG Lewis est cohérent.  Lewis ne parle plus de films populaires, mais des films où la violence de l’acte est montrée dans son entièreté, à la fois dans son horreur mais aussi, dans son réalisme. La violence y est festive. De manière sans doute inconsciente, Lewis parlerait-il des crimes des suprémacistes blancs dans les états du Sud ? Le gore festif est présenté comme héritage de ces corps noirs mutilés, torturés dans des spectacles horriblement festifs de lynchage. L’ouvrage fait sans cesse des allers retours entre l’Histoire (sérieuse ou complexe) et les œuvres. Les exemples foisonnent. Dans le chapitre « Le Cri Mou » de Jean-François Desserre, l’auteur analyse le rayé : des hachures pour symboliser, en art figuratif, des personnages coupés. Il va jusqu’à dire que le seul personnage coupé et qui se déplace en diagonale est nommé le fou.

Toute une recherche apparaît en filigrane dans le livre : celle de la beauté et de l’attirance de l’horreur, que l’on pense au visage doux et beau de Zoya mutilée ou à la figure du « clown éclatant » comme dit Kantor. Chaque œuvre a ses réponses. Là où Zoya nous fait voir une « beauté qui s’enlace avec la mort et la beauté la couvre et l’inonde » (Maggiori), on trouvera un rappel à notre propre fin en regardant les visages statiques et profonds du Fayoum.

Un esprit malsain, un corps malsain

On pourrait redécouper le livre Représenter l’horreur ainsi : trois chapitre sur le corps blessé voire mutilé et trois autres sur le psychique et l’esthétique.

Dans la première partie sur les corps, on pourrait y classer l’article sur Zoya (crimes Nazis), HG Lewis (crimes ségrégationnistes) et le Cirque (les freaks shows) . Ces trois articles racontent comment des tortures (plus ou moins graves mais toujours terrifiantes) qui ont eu lieux dans l’Histoire, servent de base à des fictions plus joyeuses.  Ici, les actes scéniques répondent indirectement à des histoires sordides. Souvent dépourvue de tout lien pour celui qui n’a pas eu la chance de le savoir, la connaissance de ces mutilations crée immédiatement une double histoire pour le spectateur.

Les trois autres articles s’intéressent plus à une esthétique en général : le regard des morts et son pouvoir hypnotique et angoissant,  le cinéma sur moderne japonais qui se structure autour de trois thèmes centraux (le temps, l’ego et autrui) et enfin, les différents partis pris graphiques qui permettent de faire voir l’horreur (de la chevelure rousse de Judas, au monstre au masque mou inspiré du Cri de Munch dans Scream). Cela étant dit, l’horreur  est ici plus du à la propre imagination et au propre mental du public : le corps reste en dehors des réactions de celui-ci. On cherche plus à marquer l’esprit.

Représenter l’horreur décrit les processus de représentation de l’horreur et ses origines généalogiques. Ce livre collectif s’intéresse aux mécanismes qui se dissimulent derrière une image horrifique, mais aussi à la mémoire collective. C’est sûrement les liens entre la dureté de la réalité et la fiction qui  semblent les plus intéressants ; en particulier en quoi la représentation fictionnelle de l’horreur est un endroit de concentration d’angoisses et de fantasmes.  Mélangeant des exemples dit « savants » et ceux issus de la culture populaire, cet ouvrage montre que derrière une œuvre, certaines images et symboles sont ancrées dans l’inconscient collectif.

Par Matthieu Bousquet
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017

[1]     Frédéric Astruc, Représenter l’horreur, préface, édition Rouge Profond, 2015, p.7