Fernando Vallejo – La vierge des tueurs

Fernando Vallejo
La vierge des tueurs
1994
Roman
Colombie

La Virgen de los Sicarios (La Vierge des tueurs) est un roman auto-fictionnel écrit par l’écrivain et cinéaste Fernando VallejoIl. Il est né en Colombie en 1942 et a été naturalisé mexicain en 2007. Le livre a été publié pour la première fois par Alfaguara en 1994, et par la suite, il a été adapté au cinéma par le réalisateur suisse Barbet Schroeder en 2000.

Il s’agit d’un roman qui mélange des fragments autobiographiques de Vallejo avec une chronique fictionnelle. Dans celui-ci, le personnage principal et narrateur Fernando, un écrivain et professeur homosexuel dans la cinquantaine, décrit son retour à sa ville natale –Medellín- après avoir vécu à l’étranger pendant trente ans.

En arrivant à Medellín en 1993 (une année qui a marqué l’histoire de Colombie à cause de la mort de Pablo Escobar, le principal trafiquant de drogue des années quatre-vingt, né aussi à Medellín et abattu par la police nationale dans cette même ville) il y trouve une ville complètement différente de celle de ses souvenirs d’enfance. La ville maintenant, après une grande croissance économique de la part d’industries aussi bien que des cartels de drogues, est envahie, plus que jamais, par les inégalités sociales et la violence.

Il y tombe amoureux d’Alexis, un jeune garçon de dix-sept ans qui – comme il découvre par la suite- était l’un des nombreux jeunes sicaires (tueur sur commande) qui ont surgi dans les communes (collines qui entourent la ville et qui sont surpeuplées par des habitants vivant dans des conditions précaires) depuis 1970  à cause du trafic de drogue, de la pauvreté, de l’abandon de l’état, entre autres. Ce garçon a comme particularité –de la même manière que d’autres sicaires de Medellín- le fait d’avoir pris l’habitude de tuer quotidiennement, et en même temps, d’avoir une forte dévotion pour la Vierge Marie Auxiliatrice, à qui il demande de la bonne chance et de la protection pour tuer et pour ne pas être tué. D’où le nom du roman : La Vierge des tueurs.

L’histoire entre les deux amants se poursuivra après l’assassinat d’Alexis par un sicaire. Fernando rencontrera un autre jeune sicaire –Wilmar- avec qui il aura aussi une histoire d’amour qui l’amènera à découvrir, après coup, des liens que ce dernier garde avec son ancien amoureux, Alexis.

Elles sont nombreuses les raisons pour lesquelles ce livre a produit, ou peut produire, un choc chez les lecteurs. D’une part, par les sujets qui sont –et restent encore aujourd’hui- des sujets tabous ou délicats, tels que la violence -surtout chez les enfants-, les croyances religieuses, l’homosexualité, la prostitution infantile et la pédophilie ; et qui constituent le matériau principal de l’œuvre.

D’autre part, par la froideur et l’indolence -ou plutôt insouciance- avec laquelle, ces sujets sont traités et désacralisés. Par exemple, l’innocence et la pureté de l’enfance qui sont souillés par la violence et par l’acte de tuer, sont décrit de la même manière qu’une scène où deux enfants jouant dans un parc car, ils font tous les deux partie du quotidien. Pareillement, la mort est réduite à n’être rien de plus qu’un événement spectaculaire qui dure trois minutes, avant d’être remplacé par le même événement dans un autre coin de la ville. En outre, la piété et la dévotion agissent en faveur du plus grave pêché : l’assassinat. Finalement, la sexualité entre adolescentes payés ou prise en charge par des adultes, n’a rien d’atypique ou d’extraordinaire.

Nonobstant, ce qui peut choquer aussi, c’est le fil, extrêmement fin, des sentiments qui se tissent entre les personnages à travers l’histoire, malgré l’apathie permanente qu’ils expriment face à l’environnement malsain et corrompu qui les entoure.

Finalement, ce qui peut frapper davantage un lecteur non colombien, c’est le fait de savoir que tout ce qui est raconté et décrit dans le roman, ne s’éloigne point de la réalité du pays et plus particulièrement de cette ville pendant les deux dernières décennies du XXème siècle. On parlerait, à ce moment-là, du choc du témoignage car, l’histoire d’Alexis peut très bien être l’histoire de n’importe quel enfant né dans les communes de Medellín.

Du côté d’un lecteur colombien qui reconnaîtrait toute de suite, et sans surprise, la réalité qui est décrite dans le livre ; ce qui peut frapper -voire blesser- c’est, d’une part, le mépris avec lequel l’auteur -qui a renoncé volontairement à sa nationalité colombienne- parle du pays, de sa culture et de son idiosyncrasie ; et d’autre part, le fait de reconnaître que la société colombienne -à force d’entendre parler des morts dans les journaux, et trois minutes plus tard, de la victoire de l’équipe de football national, comme si l’on parlait de la même chose- exprime beaucoup d’indifférence face à la réalité sociale du pays, la violence, l’absence de l’état, le pouvoir de la religion, etc.

Extraits du livre :

Espagnols bestiaux, Indiens sournois, Nègres porte-malheur : mettez tout ça ensemble dans le creuset de la copulation et vous verrez quel mélange explosif ça vous donne avec la bénédiction du pape et tout le saint-frusquin. Ça fait une racaille tricheuse, prétentieuse, paresseuse, envieuse, menteuse, visqueuse, infidèle et cleptomane, criminelle et pyromane. C’est l’œuvre de la promiscuité espagnole, ce que l’Espagne nous a laissé quand elle s’est tirée avec l’or. Avec en plus une âme scribouillarde, plumitive, fanatique de l’encens et du papier timbré. Insurgés, libérés, traîtres au roi, tous ces bâtards après ça se sont mis à vouloir devenir présidents. Ils ont le feu au cul à l’idée de s’asseoir sur le trône de Bolivar pour piller et commander[1].

Dans Junin il y avait un type derrière moi qui marchait en sifflant. Je déteste mais je déteste que les gens sifflent. Je ne le tolère pas. Je considère ça comme une offense personnelle, un affront encore plus grand qu’une radio allumé dans un taxi. Qu’un homme immonde siffle, usurpant ainsi le langage sacré des oiseaux ? Jamais ! Je suis un défenseur des droits des animaux. Et c’est que j’expliqué à Wílmar, en marquant le pas pour que l’homme nous dépasse et s’éloigne. Qui m’avait demandé d’ouvrir la bouche ! Allant à son tour à la rencontre du répugnant personnage, Wílmar a sorti son révolver et l’a gratifié d’un pruneau en plein cœur. L’homme-porc à vocation d’oiseau s’est affaissé en lâchant son ultime sifflement, en se dégonflant, tandis que Wílmar se perdait parmi la foule […] Avec la conscience tranquille d’un qui va à la messe, j’ai poursuivi mon chemin, mais j’ai commencé à me dire que je le connaissais. Mais d’où ? Qui pouvait-il bien être ? Et voilà que j’ai l’illumination. C’était le braqueur que j’avais vu quelques mois plus tôt sur San Juan, celui qui avait tué le jeune homme pour lui voler sa voiture ! Béni soit-tu Satan toi qui à défaut de Dieu, lequel ne s’en soucie pas, es venu redresser les torts en ce monde […] Quelques rues plus tard j’ai retrouvé Wílmar et il était radieux, joyeux, riant de bonheur et d’exaltation. Avec un bonheur qui mettait des étincelles dans ses yeux verts. Mon petit était l’envoyé de Satan venu mettre de l’ordre dans ce monde qui échappe à Dieu. De même que le docteur Frankenstein a perdu contrôle sur son monstre, Dieu a perdu le sien sur l’homme. Ici, il n’y a pas d’innocents, tous sont coupables. Et que l’ignorance par ici, et que la misère par-là, et qu’il faut essayer de comprendre…Il n’y a rien à comprendre […] Et les droits de l’homme ? Quels droits de l’homme de merde ! Tout ça c’est de la putasserie, du dévergondage, du proxénétisme[2].

Par Laura Mélissaq Sotelo
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017

[1] Vallejo, F. and Bibard, M. (1997). La Vierge des Sicaires. Première édition. Paris : Belfond.

[2] Vallejo, F. and Bibard, M. (1997). La Vierge des Sicaires. Première édition. Paris : Belfond, pp. 154-156.