Esthétique du choc
  • Analyses & définitions
    • Définitions et concepts
    • Textes analytiques
    • Textes de création
    • Choc littéraire
    • Le choc dans tous ses états
    • Bibliographie
  • Études de cas
  • Vers une histoire du choc
    • Ana Mendieta: la violence, le choc, la mort
  • Liens avec le sujet
    • Événement choc
    • Articles de presse / entrevues
    • Parutions
    • Colloques, Congrès
  • Groupe de recherche
    • Présentation
    • Actualités du groupe
    • Membres
  • Contact

Les études de cas

Étienne de la Boétie – Le discours de la servitude volontaire

  • » Précédent
  • Suivant »

Étienne de la Boétie
Le discours de la servitude volontaire
1576
Littérature
France

Publié d’abord sous forme de fragments en langue latine dès 1574, le Discours de la servitude volontaire est intégralement publié en français en 1576. Étienne de la Boétie l’écrit alors qu’il est un jeune homme âgé de dix-huit ans, ou de seize ans selon l’assomption de son ami dévoué Michel de Montaigne. Remarquable élève qui brille par sa connaissance des humanités et notamment de certains textes de l’Antiquité dont ceux de Cicéron, ceux de Xénophon et de Plutarque qu’il a traduis, Étienne de la Boétie est une personnalité insaisissable d’un siècle sanglant. Tandis que les guerres de religion font rage entre les huguenots protestants et les catholiques dès 1562 et le massacre de Vassy, Étienne de la Boétie ébranle toute une conception du pouvoir en rédigeant son Mémoire de l’Edit de janvier 1562. Dans le Discours, il affirme sans ambages que la distinction entre oppresseurs et opprimés ne se maintient que parce que les opprimés acceptent leur condition sans broncher, comme s’ils se satisfaisaient de perdre leur liberté sous couvert d’avoir  » gagné leur servitude « . L’absolutisme règne à l’époque en maître et La Boétie appelle à la désobéissance et au soulèvement. C’est cette thèse de la désobéissance civile que reprend partiellement en la complétant Henry David Thoreau au XIXème siècle. La portée du manifeste du magistrat bordelais ne se dément pas et traverse les âges.

Cependant la réception de l’essai est chaotique dès sa publication et l’amitié entre Montaigne et La Boétie est soumise à rude épreuve. Bien que La Boétie ait soigneusement sélectionné ses exemples issus de l’Antiquité grecque et latine pour éviter la censure, le texte a été amputé, cisaillé, modifié au gré des visées que l’on a souhaité lui donner. En effet Montaigne qui envisage d’inclure le Discours dans ses Essais doit affronter les vives protestations de ses opposants qui y voient un virulent pamphlet en faveur des protestants. La Boétie adopte le catholicisme comme religion d’État mais souhaite ardemment une réconciliation entre protestants et catholiques. Une édition clandestine du texte de 1578 largement diffusée est immédiatement condamnée. L’autodafé du Mémoire adressé à Charles IX et à Catherine de Médicis sur la nécessité de mettre un terme à la guerre civile, ou le but de la guerre et de la paix face au Parlement de Bordeaux en mai 1579, juste avant la publication des Essais ( 1580) a laissé des traces indélébiles dans la mémoire collective et a effrayé Montaigne. Montaigne déclare qu’il s’agissait d’un simple essai de jeunesse pour parer toute éventualité de lever de boucliers et il se résout à ne pas le publier dans son ouvrage. L’ajout du second titre Contr’Un rappelle la visée originale et originelle du texte qui n’a jamais été démentie ou édulcorée par La Boétie lui-même.

La puissance de cet appel universel à un réveil des consciences et l’élan de lucidité critique de La Boétie brisent son image de membre conservateur d’une élite lettrée s’adaptant aux circonstances. Car, vivre sous le joug d’un tyran que l’on servirait, c’est laisser mourir sa liberté et abandonner son humanité :  » Est-ce là vivre heureux ? Est-ce même vivre ? Est-il rien au monde de plus insupportable que cet état […] ? Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ? « 

Par Juliette Labreuche
Université Sorbonne N
ouvelle – Paris3, L3, 2017

  • Esthétique du choc © 2018