Gina Pane – Nourriture / Actualités t.v. / Feu

Gina Pane
Nourriture / Actualités t.v. / Feu
1971
Performance
France

Gina Pane, Nourriture / Actualités t.v. / Feu, 1971

Gina Pane, Nourriture / Actualités t.v. / Feu, 1971

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gina Pane est une artiste qui a œuvré dans le Body Art. Cette artiste met sans cesse son corps en danger dans ses œuvres et pousse ses limites. Lorsque l’on regarde son travail, on ressent un fort impact : il n’y a plus de médium et nous ressentons presque la douleur qu’elle s’inflige. Ses actions sont très violentes, elles blessent son corps et créent donc du dégoût et révulse instantanément. Il est de prime abord difficile de réfléchir esthétiquement et avec distance à ce genre d’art. Mais le travail de Pane est assez éloigné maintenant pour que l’on puisse y réfléchir, le temps a fait son œuvre.

 Ici, nous allons nous intéresser à son œuvre qui fait violence au corps dans son intériorité, ses organes. Nous nous focaliserons sur la partie de la performance m’ayant le plus impactée, à savoir « Nourriture ». Nous ne voyons pas de blessures – comme lors de sa performance « Azione sentimentale » en 1973, où elle se taillait les veines – mais nous imaginons la douleur. Généralement, les blessures qu’elle s’inflige sont légères, ce qui la distingue du courant des Actionnistes viennois par exemple. Sans déborder dans le « gore », Gina Pane nous présente une œuvre que je qualifierais de minimaliste (bien que d’autres la trouve extrême et masochiste). À partir d’un élément de départ simple, sans grands couteaux et terreur à l’horizon, le rapport du corps humain aux choses devient très puissant. Ici, dans le cas de cette viande avariée que l’artiste ingurgite crue pendant plus d’une heure, c’est l’idée de souffrance en miroir dans la pensée du spectateur qui écœure et donne des haut-le-cœur. Nous disposons de photographies du travail de Gina Pane, qu’elle archivait elle-même dans un but auto-analytique.

 Gina Pane, Azione Sentimentale, 1973, performance.

Gina Pane, Azione Sentimentale, 1973, performance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’impact d’un élément minimal et quotidien (une rose, de la nourriture) sur le corps humain nous prouve à quel point celui-ci est faible. L’homme se retrouve désœuvré face au monde qui l’entoure et la petite blessure prend une ampleur considérable. L’artiste, comme le reste du mouvement du Body art, s’interroge aussi sur sa place en tant que créatrice, sa capacité à s’engager, ses limites, et du même coup, nous interroge en lieu et place de spectateur : devons-nous accepter d’être passif ? Acceptons-nous cette maltraitance sur autrui ou sur nous-même ?

 La performance complète dans laquelle s’inscrit « Nourriture » replace l’Homme dans des situations plutôt communes et primaires : manger, regarder les actualités et éteindre le feu. Le rapport aux stimulus extérieurs impact non seulement l’esprit mais aussi le corps. Dès lors que le corps souffre réellement, la sécurité du spectateur est mise à mal et ébranlée par l’absence de cadre théâtral. Le réel frappe brutalement le spectateur et questionne l’art et l’engagement dans leur entier. Dans la performance de la viande, Gina Pane met aussi en perspective le rapport entre les êtres vivants et la contamination d’un être à un autre. Comme l’écrit David Lebreton : « Le rapport au monde de tout homme est une question de peau en ce que celle-ci signe la frontière entre soi et l’autre, l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors[1] « . Chair contre chair, l’un peu blesser l’autre violemment, et le tiers passif – le public – reste scandalisé sans pour autant agir. De plus, il est évident que l’artiste intègre une réflexion autour du végétarisme, en choisissant de manger de la viande qui a souffert et fait souffrir en juste retour des choses.

 Pour toutes les raisons évoquées jusqu’à présent, cette œuvre me dégoûte énormément, ce qui est tout de même assez positif en regard des questions qu’elle soulève. Néanmoins, j’ai toujours du mal à exercer une distance face à l’instant où l’artiste vomit, acte qui me répugne au plus haut point. Cela me ramène à mon rapport à cet acte qui me terrifie réellement et met à mal mon corps. Ainsi, je n’arrive pas à éprouver autre chose que du dégoût et de la terreur pour un tel spectacle, bien que les motivations et intérêts vus précédemment me font apprécier l’œuvre. De fait, cette performance me plaît parce que je ne l’ai pas eu sous les yeux, mais uniquement par l’intermédiaire de photographies, ce qui heurte vraiment moins ma perception et me présente un cadre et un médium confortable d’une action qui a déjà eu lieu.

 Par Romane Rivol
Université Sorbonne N
ouvelle – Paris3, L3, 2017

[1]Body Art : la blessure comme œuvre chez Gina Pane, David LEBRETON, Ed. Le Seuil, 2013