Romeo Castelluci – Democracy in America
Romeo Castelluci
Democracy in America
Théâtre
2017
Italie
Romeo Castellucci est le metteur en scène, créateur de décors, de lumières et de costumes de Democracy in America. Castellucci est connu dans le monde entier comme l’auteur d’un théâtre fondé sur un art total. Ses créations ont été présentées dans plus de cinquante pays. Il a également écrit divers essais théoriques sur la mise en scène. D’origine italienne, cet homme de théâtre complet est aussi plasticien et scénographe de formation. Grande figure de l’avant garde en Europe à partir des années 1990, il est notamment reconnu pour son spectacle Tragedia Endogonidia.
L’aspect hautement spectaculaire du spectacle Democracy in America tient de son côté très visuel. En effet, la vue est d’emblée convoqué lorsqu’on nous demande de lire les mots que forment les drapeaux des soldates qui se placent et se déplacent pour interchanger les lettres issues du titre « Democracy in America ». C’est ensuite au tour des dates projetées sur la scène et des surtitrages des traductions italiennes d’orienter notre esprit vers le visuel du spectacle. Cette incitation au visuel nous prépare aux scènes spectaculaires qui sont en premier lieu celles des danses faîtes par des groupes de femmes tournant en rond. L’entièreté de ces danses se passe derrière un fin voile placé entre la scène et la salle comme remplaçant le rideau de scène et qui floute les corps des danseuses au point où la scène nous apparaît comme dans un rêve et les danseuses s’apparentent à des nymphes majestueuses et magiques. Ce voile qui rend les mouvements des personnages imperceptibles, éveille l’imagination des spectateurs et participe au spectaculaire. À ce visuel captivant s’ajoute un son fort de tonnerre et de grondements qui renforcent l’aspect spectaculaire de la mise en scène.
On notera de même la présence d’un nu, qui est d’autant plus frappant qu’il est dansant. Cette présence du corps apparaissant dans son aspect inhabituel provoque l’étonnement mais aussi l’admiration. En effet, ce nu esthétisé qui se retrouve autour des corps costumés de rouge et dansants des femmes, est totalement justifié, car en cohérence esthétique avec son environnement. Derrière le voile qui sépare scène et salle, le corps apparaît comme un élément de peinture du spectacle et sa matérialité comme faisant partie intégrante de l’esthétique théâtrale.
Le spectaculaire se dégage de même de la scène de possession du personnage d’Elizabeth. Elizabeth et sont mari sont agriculteurs et appartiennent au groupe des premiers colons qui sont arrivés en Amérique. La famine sévit sur leur terre et la récolte est mauvaise. Elizabeth est malade. Ne pouvant plus supporter ses multiples souffrances, elle avoue à son mari qu’elle prend du plaisir à blasphémer Dieu tous les soirs et qu’elle a vendu leur enfant pour se payer des outils et des pommes de terre. S’ensuit une scène de possession de son corps à travers laquelle est crache de la bile noire, déchire sa chemise en montrant sa poitrine ensanglantée et profère des incantations dans la langue des Indiens d’Amérique, à la manière d’ une figure issue de la tragédie grecque. Le spectaculaire encore une fois, apparaît à travers la posture du corps, ses tremblements et sa mise à mal. Le fond de la scène est blanc immaculé ce qui contraste avec l’image d’un corps noir et rouge.
Enfin, le spectacle se finit, sur l’apparition d’une gigantesque machine faite de deux tubes métallisés, toujours derrière le voile floutant et qui se meut au-dessus du mannequin d’un petit enfant endormi (l’enfant d’Elizabeth). Ce monstre géant soulève dans la lenteur ses deux longs tubes sur une musique sourde et forte et se présente comme une machine du destin, ou bien une apparition divine. La grandeur de l’objet, son incongruité et sa forme mystérieuse et spectaculaire intrigue et fascine le spectateur.
Le spectacle Democracy in America est une pièce d’art spectaculaire qui met en scène un visuel très affirmé qui peint l’espace et développe une intrigue tragique par le spectacle des corps et des objets dansants, mis à mal, flouté et imaginé par le spectateur.
Par Jade Bou Ferraa
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017