Esthétique du choc
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Les études de cas

Günter Brus

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ZERREIBPROBE (tentative d’auto-déchirement)

Günter Brus est un artiste plasticien autrichien né en 1938. Il est l’un des membres fondateurs du mouvement artistique « Actionnisme Viennois » créé en 1960 par des artistes autrichiens tels que Otto Muehl, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler. Ce mouvement, très actif dans les années 60 et 70, place au centre de l’œuvre le corps comme principal médium d’expression. De 1960 à 1970, G. Brus effectue de nombreuses performances fondées sur des formes d’automutilation : Tétanos, Torture et Tentative d’Auto-Déchirement. Ses performances cultivent une approche autodestructrice et avilissante d’un corps symbolisant les tabous de la société. Un de ses aphorismes dans Pictura jacta est : « Notre propre corps est un poème qui parle de la mort et de la matière » démontre bien que le corps est là pour exprimer sa propre fragilité. Ses performances sont extrêmes et violentes, elles bousculent et interrogent les conventions. Leur effet relève à la fois du choc et du scandale.

La performance Zerreißprobe signifie en français tentative d’auto-déchirement. C’est la dernière à être réalisée par l’artiste en 1970 à Munich. L’artiste à genoux en porte-jarretelles s’ouvre les jambes sur toute la longueur avec une lame de rasoir et s’ouvre ensuite le crâne. Il s’agit d’un comportement contre-nature. Le corps est violenté dans une mise en scène auto-mutilante.

Pourquoi cette œuvre fait-elle choc ? 

D’une part, en raison de l’exposition du corps humain : nous sommes confrontés non seulement au corps mis à nu, mais aussi à la matière du corps, au sang. Nous sommes face à un double choc, celui du corps et de la matière. L’artiste s’expose face au public et utilise son propre sang comme matériau et une lame de rasoir comme outil. Son sang devient de la peinture qu’il manie comme telle et son corps devient œuvre d’art à l’image d’une sculpture qui se façonne sous nos yeux. Il se met en danger, jusqu’à perdre connaissance.

La performance et sa mise en scène rappellent sans équivoque le culte chrétien, des martyrs ou encore de la Passion du Christ. Ces deux formes de rituel ont un point commun, la violence faite au corps. Mais ici, nous ne sommes plus face à une représentation picturale de la crucifixion de Saint-Pierre ou de Saint Barthélémy écorché vif mais d’une action qui se déroule en direct. Nous ne sommes pas dans la fiction mais dans la réalité ; nous ne sommes plus dans le passé mais dans le présent. La performance est action immédiate.

En dépit de la médiation qui opère néanmoins – par le biais de la mise en scène de la performance ( drap blanc étendu au sol délimitant l’espace de la présentation du public, la frontière entre art et réel, objets divers disposés sur le drap et accessoires de « costume » sur l’artiste -porte-jarretelles, bas et culotte en papier) – l’immédiateté de l’événement l’emporte. L’artiste met sa vie en danger, il s’entaille non seulement les membres inférieurs mais aussi le crâne. Il y a une véritable prise de risque de sa part de l’artiste face aux spectateurs qui en sont conscients. Ils ne sont pas justes témoins d’une action mais peuvent devenir complices si les choses tournent mal. C’est d’ailleurs le cas, pour cette performance, où les secours ont dû intervenir.

Comment se présente la médiation ?

Le regard a pourtant été confronté à des scènes de torture, de lapidation et d’exécution au cours des siècles. Les mises à morts faites autrefois sur la place publique représentaient même un divertissement pour le peuple qui assistait à ces exécutions. Des lois ont progressivement aboli ces pratiques au fur et à mesure que notre rapport aux corps et à la mort s’est modifié.

Si le corps aujourd’hui demeure le lieu de tous les tabous, c’est parce qu’il est également celui de la transgression. Il est régi par un ensemble de règles de bienséances, remis en question par des artistes comme Günter Brus, après des massacres inhumains, comme ceux de la deuxième guerre mondiale.

La question se pose de savoir comment nous pouvons regarder et assister à un corps en souffrance? Que nous soyons face à une pendaison au Moyen-Âge ou face à Tentative d’auto-déchirement au XXIème siècle, le spectateur effectue un cadrage qui met l’œuvre à distance afin de se protéger. Une transformation de l’événement en œuvre esthétique opère au terme d’une médiation que le cadrage de la performance opère. Celui-ci intervient tant sur une place publique que sur une scène et crée une distance qui permet le regard, un regard sans lequel nous serions dans l’événement et non dans une « représentation ».

Par Tiphaine Portais
Sorbonne-nouvelle Paris3, 2015

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