Franck Wedekind – L’Éveil du Printemps

Franck Wedekind
L’Éveil du Printemps
Théâtre
1891
Allemagne

https://malandro.ch/spectacle/leveil-du-printemps/

L’Éveil du Printemps dans une mise en scène d’Omar Porras en 2012

 

Présentation et caractéristiques de l’œuvre

L’Éveil du Printemps est une pièce de Franck Wedekind publiée en 1891. Elle est sous-titrée « une tragédie enfantine », et a pour sujet l’éveil de la sexualité chez des adolescents de 14-15 ans encore ignorants et brimés par la société et leur parents.

Cette pièce conte l’histoire de plusieurs personnages, des enfants-adolescents. Premièrement, Wendla qui croit encore aux cigognes, qui a une espèce de masochisme érotique, qui se fait violer, qui a un enfant sans le savoir et qui se fait avorter par sa mère, toujours dans l’ignorance, et qui en meurt. Ensuite le personnage de Moritz qui est extrêmement stressé à l’idée d’apprendre quoi que ce soit sur « les mystères de la vie », c’est à dire le sexe et qui, lorsqu’il l’apprend de son ami Melchior, ne trouve d’autre issue que de se faire sauter la cervelle. Et enfin, le personnage principal de la pièce, Melchior, qui va être accusé de la mort de son ami Moritz et d’avoir mis enceinte Wendla. Il se fait alors envoyer dans un pénitencier par ses parents où il assistera à des scènes de masturbations collectives. Il finit par s’échapper mais tombe sur le fantôme de son ami Moritz qui lui décrit à quoi ressemble l’au-delà où il vit à présent. La pièce se termine sur ce personnage qui décide de ne pas suivre Moritz dans la mort, ce qui équivaut au retour à la sexualité infantile. Cependant, un autre personnage apparaît : l’homme masqué. Celui-ci propose à Melchior de venir avec lui pour, entre autre, découvrir la vie d’adulte. On peut aussi s’intéresser aux autres personnages comme Martha, qui se rebelle contre ses parents qui ne cessent de la battre sans raison, Ilse qui s’est faite chassée de chez elle après son viol et qui devient une sorte de prostituée, ou encore, deux autres garçons qui découvrent leur amour l’un pour l’autre sans vraiment comprendre ce que cela implique.

 Cette pièce est empreinte d’une modernité incroyable pour l’époque. En effet, elle aborde des sujets tels que le sexe, l’homosexualité, le viol, la violence, la masturbation, l’avortement, ou encore le suicide qui étaient des sujets tabous au XIXème siècle.

Les auteurs comme Jacques Lacan et Sigmund Freud se sont beaucoup intéressés à cette pièce et ont beaucoup écrit à ce sujet. Ce qui est étonnant c’est que la pièce fut écrite quinze ans avant les premiers essais de Freud en matière de sexualité et d’inconscient. Freud ne peut s’empêcher d’analyser cette pièce de manière psychanalytique, d’ailleurs, lui et la « Société psychanalytique de Vienne » ont fait une intervention pour parler de leur interprétation des écrits de Wedekind qui a servis de base à la rédaction des Trois essais sur la sexualité en 1907.

Bertolt Brecht écrira après la mort de Wedekind : « Comme Tolstoï et Strindberg, Franck Wedekind a été un des grands éducateurs de l’Allemagne moderne. Il semblait indestructible. »

Analyse, un choc en deux temps

 À sa publication, la pièce fut immédiatement censurée par l’impérialisme prussien de l’époque. La pièce a été qualifiée de « pure pornographie » et il a fallu attendre pas moins de seize ans avant que celle-ci ne soit autorisée par la censure prussienne. En dehors de la sexualité ouvertement dévoilée, d’autres sujets pouvaient heurter la société de l’époque : l’athéisme du personnage principal ou encore la description de l’au-delà par le fantôme de Moritz sans Dieu ni Diable. Cela passe aussi par tout le côté tragique de la pièce qui semble reposer sur la responsabilité des adultes, et en particulier celle des parents, qui veulent garder leurs enfants dans l’ignorance de la chose, ignorance qui les conduit à leur perte. La pièce remet donc en question tout le système d’éducation puritaine de l’époque.

 Mais pour Wedekind, personne n’avait compris sa pièce, il écrira ceci :

 Je serais étonné si je vois le jour où on prendra enfin cette œuvre comme je l’ai écrite voici vingt ans, pour une peinture ensoleillée de la vie, dans laquelle j’ai cherché à fournir à chaque scène séparée autant d’humour insouciant qu’on en pouvait faire d’une façon ou d’une autre. 

Pour lui, sa pièce était une satire humoristique avec comme sujet des faits réels de questionnements innocents sur l’éveil de la sexualité chez les jeunes de son époque.

 Pour ma part, si cette pièce ne me choque plus aujourd’hui, ce fut un choc la première fois que je l’ai lue. Notre professeur de français, qui était aussi celui qui animait l’option théâtre de mon lycée, avait décidé de la monter à la fin de notre année de seconde. La pièce parle d’adolescents qui avaient le même âge que moi à l’époque, mais je ne pouvais concevoir que ces enfants aient de telles histoires à notre âge. Le choc venait surtout du problème de représentation, parce que la pièce comporte des scènes de viols et de masturbation. Ce qui me choquait le plus, bien que je n’étais et je ne suis encore pas contre l’avortement, c’est cette histoire sordide ou le personnage féminin principal de l’histoire qui n’a aucune idée de comment se passe la conception d’un enfant, se retrouve enceinte après ce qui passe plus ou moins pour un viol. Sa mère ne voulant toujours pas lui apprendre comment c’est arrivé, lui dit qu’elle souffre simplement de « consomption » avant de l’amener elle-même chez une « tricoteuse » pour la faire avorter avec les moyens du bord. Bien évidemment, elle en meurt, et la mère fera graver sur sa tombe « morte de consomption ». Je trouvais cette scène d’une extrême violence, et l’idée qu’on puisse garder un enfant dans l’ignorance aussi longtemps me répugnait.

 Je me rappelle que les parents d’élèves étaient encore plus choqués à l’idée de monter une telle pièce. D’autant plus que, ironiquement, toute la tragédie de ces personnages sont la cause de l’éducation des parents. Nous avons finalement trouvé des solutions pour passer à côté de la représentation de certaines scènes.

 Aujourd’hui cette pièce est régulièrement montée, parce que bien qu’elle soit datée, elle reste encore très pertinente, bien que les personnages des adolescents soient habituellement joués par des adultes. La pièce pose néanmoins quelques problèmes au niveau des arguments. Comme a dit Guillaume Vincent au moment de monter la pièce au Théâtre de la Colline en 2010 :

« Il me semble que les choses ont radicalement évolué. Une cigogne n’est plus une hypothèse crédible, un clic suffit pour avoir une explication beaucoup plus plausible et plus détaillée, la preuve par l’image. En travaillant avec des lycéens, je me suis rendu compte que les drames qui parcouraient la pièce (suicide, avortement, incarcération en maison de correction…) n’avaient rien perdu de leur actualité. Comme dans la pièce, on assiste à une faillite du système éducatif, simplement on n’éduque plus les enfants aujourd’hui comme il y a un siècle. Je voudrais parler des enfants d’aujourd’hui. »

En effet, aujourd’hui les enfants ne croient plus aux cigognes aussi tard, et ne fantasment plus sur des « bas bleus montant sur le pupitre d’école ». Il n’empêche que l’adolescence reste et restera une période de la vie la plus difficile à traverser, pleine questionnements sur la sexualité et ses enjeux, c’est en cela que la pièce et certains tabous dont elle rend compte, restent encore d’actualité.

Conclusion

Cela constitue un choc encore aujourd’hui, car il y a des sujets qui restent difficiles à montrer au théâtre. En effet, on ne doit pas montrer le viol, ou même la masturbation qui doit être cachée aux yeux de tous et ignorée, on n’en parle pas, surtout quand cela touche aux enfants. Mais le choc s’est déplacé entre le moment où la pièce a été écrite il y a plus de 120 ans, et aujourd’hui. Notre société reste encore choquée par certains objets de la pièce, comme le viol, la masturbation, ou le suicide, mais plus par d’autres comme l’athéisme, la sexualité en général ou la remise en question de la société de l’époque. Pour ma part, même si cela peut être violent, il est nécessaire de faire connaître cette pièce, même à des jeunes car, cela aborde des sujets tabous et peut permettre d’aider les adolescents dans leur questionnements, questions où ils ne trouvent pas forcément encore de réponse dans leur famille. Cela n’en fera pas plus des violeurs ou des suicidaires, comme avaient pu penser certains parents d’élèves quand j’étais au lycée.

Par Héloĩse Cholley
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017


L’Éveil du printemps dans une mise en scène d’Omar Porras, 2012

 


Spring Awakening, comédie musicale adaptée de L’Éveil du printemps, 2006