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Les études de cas

Pierre Soulages

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  • Peinture-181x243cm-25-fevrier-2009-triptyque-acrylique-sur-toile
  • Peinture-181x244cm-2-mai-2011-peinture-sur-toile
  • Peinture 293 x 165 cm, 23-decembre-2013, acrylique-sur-toile

AU-DELÀ DU NOIR

A un journaliste japonais qui lui demandait lors d’une interview en 1985 s’il était « devenu de plus en plus noir », Soulages répond : « Oui… mais… de moins en moins ».

Outrenoir

Pierre Soulages, né le 24 décembre 1919 à Rodez est un peintre / graveur français associé au courant d’art abstrait. Il est connu avant tout pour son traitement particulier de la matière, et plus particulièrement du noir.

Son œuvre artistique représente le cheminement de toute une vie, aboutissant à un concept, une peinture autre et dont le monde n’avait jusqu’alors pas connaissance, une peinture de la lumière. Non pas sa représentation mais la matérialisation de la lumière de l’intime, du dedans, ce que Soulages nommera Outrenoir. L’Outrenoir, c’est ce moment précis où la lumière nous apparait au-delà de l’apparente surface noir du tableau, lorsque la couleur s’esquisse tandis que nous l’effleurons du regard.

   « Outrenoir pour dire : au-delà du noir une lumière reflétée, transmutée par le noir.

         Outrenoir : noir qui cessant de l’être devient émetteur de clarté, de lumière secrète

Outrenoir : un autre champ mental que celui du simple noir ».

Cette conception de la peinture, cette révolution sera également présentée comme le « Noir lumière », titre d’ailleurs choisi par le musée d’Art moderne de la ville de Paris en 1996 lors de la rétrospective consacrée au peintre : Soulages, noir lumière. Ce terme restreint toutefois la dimension de sa peinture à une définition optique, celle de la réflexion de la lumière sur les états de surface du noir.

Dans l’ouvrage « Pierre Soulages Outrenoir », issu d’une série d’entretiens avec ce dernier, Françoise Jaunin dira : « L’œuvre de Pierre Soulages est à la fois sombre et lumineuse, tactile et mentale, active et contemplative, archaïque et contemporaine […]. Elle s’offre comme un partage d’expérience physique, métaphysique et poétique qui se vit en direct et se révèle constamment autre, plurielle, inépuisable. Au-delà du noir bien sûr, mais au-delà des mots aussi, bien au delà ». Soulages conclura par la réflexion suivante qui définit de manière clair et condensée la philosophie rattachée à son courant de peinture : »Outrenoir est un autre pays que celui du noir, un pays au-delà du noir. Un autre champ mental ».

Cet état de fait est un renouveau par rapport au « classicisme » de la perception et de la fabrication d’une œuvre picturale, les données qui définissaient la peinture classique changent radicalement. L’espace de la peinture n’est plus dans la toile, mais devant elle. Il faut comprendre par là que c’est le spectateur, situé dans cet espace et se déplaçant, qui va modifier la perception de l’œuvre. Soulages dira, « le temps de la peinture est au présent de son regard ».

Perception du noir / perception du monde

En quoi l’œuvre de Soulages, et plus particulièrement sa période Outrenoir, fait-elle choc à mes yeux?

C’est la première et unique fois que je peux clairement retrouver une vision du monde qui m’est propre dans une démarche artistique quelle qu’elle soit. On m’a toujours rabâché que la couleur noire n’était justement pas une couleur et qu’elle s’opposait aux autres, absorbant la lumière. On nous inculque, de par notre culture, que le noir symbolise le deuil, le sérieux, la mort, liste non exhaustive s’il en est. Le Larousse le définit ainsi : »Noir : Se dit de la couleur la plus foncée, due à l’absence ou à l’absorption totale des rayons lumineux, par opposition au blanc et aux autres couleurs » ! Bref, le noir est violent, n’ayant de raison d’être que l’assombrissement du monde. Voila bien un concept auquel je n’ai jamais adhéré, un concept auquel je m’oppose totalement et sans réserve.

La première fois que je me suis retrouvé nez-à-nez avec une œuvre de Soulages, je n’ai pas eu besoin de mots, d’explication pour que cette peinture me parvienne, que j’y vois des couleurs et qu’elle éveille en moi des sensations, c’était organique et élémentaire. Enfin un artiste qui utilisait le noir pour voir la lumière. Le noir chez Soulages est mouvant, vivant. Il exprime pour moi mieux que quiconque la vie, et a cette faculté de mettre en exergue le beau et le poétique dans un espace qui s’apparenterait plus de prime abord au vide et au néant. Tout n’est pas noir pour qui prend le temps de regarder, c’est là une philosophie de vie, une vision du monde qui m’est chère et que j’ai retrouvé chez ce peintre. Bien évidemment, la question de savoir si ma perception de l’œuvre de Soulages n’était pas erronée s’est posée, et constater que je n’avais pas fait fausse route quand à mon analyse fut un plaisir certain.

Il y a chez Soulages bien sûr un choc d’ordre philosophique qui opère, mais également un choc organique. Lorsque évoque une organicité, je ne parle pas d’une sensation d’ordre corporelle résultant d’une réflexion, je parle ici du corps matière qui réagit face à la matière, qui réagit parce qu’il y a matière, et poésie et ressenti. Je parle d’un langage commun, d’un moment d’échange et de communication entre une toile (objet mort?) posée sur un mur et un petit garçon. Pour peu qu’on laisse la lumière offerte par ce noir nous parvenir et sans qu’il y ai besoin d’une raison, on se surprend à sourire face à un tableau. Manière de le remercier, nous lui offrons en retour ce geste simple et spontané.

Une autre manière de percevoir la lumière sans occulter son plus précieux allié, le noir.

                                                            Outrenoir

Bibliographie :

Musée Soulages à Rodez, Paris, Beaux Arts éditions / TTM éditions, Hors-série 2014
Françoise Jaunin, Pierre Soulages Outrenoir, Entretiens avec Françoise Jaunin, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 2012
Pierre Encrevé, Pierre Soulages Peintre, Les Cahiers Soulages 01, Bozoul, Mérico Delta Print, 2015

Œuvres présentées :

peinture 181 x 243cm, 25 fevrier 2009, acrylique sur toile
peinture 181 x 244cm, 2 mai 2011, acrylique sur toile
Peinture 293 x 165 cm, 23 decembre 2013, acrylique sur toile

Par Pounel Lambert
Paris 3                                                                                                                                              

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