Les études de cas

• » Précédent
• Suivant »

Rodrigo Garcia
Et balancez mes cendres sur Mickey
2015
Littérature
Argentine

Et balancez mes cendres sur Mickey from Le Liberté, scène nationale on Vimeo.

La question du texte choc fut assez difficile à traiter pour moi. On sait que certains écrits ont bouleversé le monde : les textes religieux comme le Coran ou la Bible, le Capital, les traités scientifique d’Einstein… Cependant, ses textes sont beaucoup trop vieux et furent appréhendés par ma personne via des cours donnés et non par leurs lectures. J’ai donc cherché un texte qui m’a bouleversé lorsque je l’ai découvert. Certainement que la sensation du choc s’accompagne souvent de la surprise. J’aurai pu parler de l’incipit de Mort à crédit ou d’Une saison en enfer mais, j’ai découvert ces textes en savant pertinemment qu’ils apportaient un souffle nouveau, une esthétique qui avait influencé beaucoup d’autres auteurs. Ce dernier point fait que bons nombres de livres ou d’essais ont perdu de leurs potentiel de choc: l’influence de Marx sur les mouvements révolutionnaires ont été assimilés, tout comme la disparition du vers et de la rime qui choquait chez Baudelaire ou Rimbaud au XIXème siècle. J’ai donc décidé de prendre un texte que j’ai découvert à un moment de ma vie (le lycée) où ma culture politique et artistique était moins grande qu’aujourd’hui et certainement que sorti de ce contexte, l’impact du texte aurait raisonné en moi de façon différente.

J’entrais dans un bar et je me disais à moi-même : ici commence une nouvelle vie. Faut y aller franco. Tu regardes les gens, tu t’attardes sur les visages, table par table, tu choisis une personne, tu t’approches d’elle et tu lui proposes une nouvelle vie à deux. Puis tu quittes le bar en compagnie de cette personne et tu la baises sans capote pour avoir des gosses, et si la personne que tu choisis est du même sexe que toi, tu la baises sans capote mais tu téléphones en Russie ou en Amérique latine pour commander un gosse et te le faire envoyer par DHL.
Et c’est une nouvelle vie qui commence. Jusque-là, je n’avais jamais associé l’idée de compagnie à l’idée de nouvelle vie, c’était la première fois. Et rien de plus simple : aller au bar, choisir une personne à n’importe quelle table et lui proposer une nouvelle vie. La ramener à la maison et la baiser sans capote. Lui faire un gosse et ressortir acheter une télévision et un four à micro-ondes 

Le texte choc que j’ai choisi fut découvert au théâtre de la Commune. Et balancez mes cendres sur Mickey de Rodrigo Garcia est une pièce qui montre des scènes performatifs (où l’on peut voir, par exemple, des acteurs en tondre d’autres ou se rouler dans la boue) et en parallèle affiche sur grands écrans des bribes de textes qui n’était pas déclamé par les comédiens et qui était d’une intelligence et d’une très grande beauté.

Si on regarde de plus près le texte de la pièce (présents dans Cendres qui regroupe l’intégralité de ses textes), on remarque que ceux-ci sont chiffrés, mis les uns à la suite des autres sans rapport apparent, à part cette langue âpre et nihiliste face à la société de consommation. Libérez de dialogue, de narration, Rodrigo Garcia produit des textes poétiques courts qui s’efforce à parler du quotidien de l’homme moderne dans sa médiocrité. Le trash des spectacles de Garcia est souvent facile de provocation (en tout cas pour tous ceux qui a vu plus de deux spectacles de cet auteur). Cependant, sa langue cynique demeure. Derrière des mots simples, l’auteur cache un amour inconsidéré pour les formules chocs qui closent souvent ses poèmes. Garcia use beaucoup de l’énumération pour montrer peu à peu comment se dégrade nos vies. La poésie qui se dégage de tous ses textes est d’une beauté froide, la fin de la société y est vue comme en approche  et  nous y participons tous activement.

Le texte de Et balancez mes cendres sur Mickey, par son cynisme constant, m’a choqué en positif quand je l’ai découvert en 2015. Un système néo libéral était en décrépitude et Garcia nous dit que nous sommes autant contre cette société que nous en faisons partie. Aujourd’hui, en 2017 et après mettre peu à peu politisé, je peux dire qu’un tel discours n’a rien de neuf et que j’ai même tendance à le trouver rébarbatif (les textes comme le spectacle de l’un de ses derniers spectacle, 4, parle de la même chose que Et balancez mes cendres sur Mickey avec beaucoup moins de talent.

Peut-on être choqué plusieurs fois par la même chose ou faut-il admettre qu’un style différent et nouveau ou qu’une idée novatrice ne pourra faire choc qu’une fois ?

Le choc, par sa sortie de l’habituel, a besoin de l’originalité pour exister.

Par Matthieu Bousquet
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017