Takashi Murakami – Rétrospective au château de Versailles
Takashi Murakami
Rétrospective au château de Versailles
2010
Art contemporain
France
Extrait du journal télévisé français du 10 septembre 2010
Le 9 septembre 2010 se trouvait dans l’hebdomadaire l’Express un article intitulé : « Murakami à Versailles, un scandale ? »
L’exposition de l’artiste plasticien japonais Takashi Murakami s’est déroulée au château de Versailles du 14 septembre au 12 décembre 2010. Né à Tokyo et titulaire d’un doctorat de la Tokyo National University of Fine Arts and Music, Murakami fascine et déroute. Maître contesté de l’art contemporain à la renommée internationale, ses œuvres bigarrées inspirées de la culture japonaise des mangas font alors parler d’elles. Lorsque Jean-Jacques Aillagon, président du Château de Versailles et président de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, prend la décision d’exposer vingt-deux œuvres de l’artiste et de lui consacrer une rétrospective inédite en France, ses détracteurs grincent des dents.
Si certaines œuvres ont même été créées pour l’occasion, et si toutes sont loin d’être présentées, certaines voix s’élèvent haut et fort contre un projet jugé scandaleux : entre sculptures magistrales de bouddhas d’or ou d’argent, sortes d’immenses peluches roses, kokeshi moderne ou fleurs stylisées immédiatement reconnaissables, l’œuvre de l’artiste n’aurait pas sa place au sein du fleuron de la grandeur et de l’ambition françaises. Comme avec Jeff Koons en 2008 au même endroit, l’art du japonais est accusé de nuire au symbole rayonnant du lieu et d’altérer le joyau du Roi-Soleil. Pour Jean-Jacques Aillagon, » le château de Versailles n’est certainement pas le tabernacle de la mémoire de l’Ancien Régime« . Comme si l’on ne voulait pas souiller ce lieu par quelque chose qui viendrait d’un autre temps. Il motive la collaboration par la confrontation des histoires et des représentations afin d’affirmer que le passé ne doit pas figer le présent dans des conceptions dépassées : » Ce moment unique veut avant tout susciter la réflexion sur la contemporanéité de nos monuments et l’indispensable nécessité de la création de notre temps » .Quitte à faire face à la désapprobation.
Les pétitions « Versailles mon amour » et « Non aux mangas au château de Versailles » ont fleuri sur les réseaux sociaux relayant combien cette exposition était dégradante et combien elle portait atteinte à ce que la France a de plus cher. Une manifestation a même été organisée pour protester contre la dénaturation supposée du lieu. « Non au choc des cultures qui brise l’harmonie » s’exclamait Anne Auger à la tête de la première pétition et animatrice d’émissions littéraires sur Radio Courtoisie. L’exposition est alors devenue l’emblème des revendications de militants d’extrême-droite à l’instar d’Anne Auger ou du très conservateur Arnaud-Aaron Upsinky, fondateur et président de l’Union des Écrivains français soutenu par un descendant de la famille royale, Sixte-Henri de Bourbon-Parme. La remise en cause de certaines autres sculptures au caractère érotique voire, explicitement sexuel, comme My Lonesome Cowboy, pourtant absentes du château, témoignent d’une instrumentalisation de l’événement au profit d’intérêts politiques douteux.
C’est la récupération politique de l’exposition au service d’accusations xénophobes qui a fait davantage scandale que les œuvres elles-mêmes. Les deux collectifs ont même voulu faire interdire l’exposition et ont envisagé le recours en justice, classé sans suite. La requête consistant à censurer l’œuvre de Takashi Murakami interroge sur le rôle d’ouverture et de positionnement critique de l’art et de la structure d’accueil qui la met en valeur.
À des années lumière de ces considérations outrageantes, Murakami explique ainsi ses intentions dans le communiqué de presse : » Sous de nombreux aspects, tout est transmis à travers un récit fantastique venant d’un royaume très lointain. Tout comme les français peuvent avoir du mal à recréer dans leur esprit une image exacte de l’époque des Samouraïs, l’histoire de ce palais s’est étiolée pour nous dans la réalité. Donc, il est probable que le Versailles de mon imagination corresponde à une exagération et à une transformation de mon esprit jusqu’au point d’être devenu une sorte de monde irréel à part entière. C’est ce que j’ai essayé de saisir dans cette exposition ». Le choc des cultures est au cœur des enjeux de l’artiste d’où la pertinence de l’exposition qui met en conflit deux sociétés. » Pour les Japonais, Versailles est un lieu particulièrement médiatisé. La Rose de Versailles est un manga de filles dont l’héroïne s’appelle Lady Oscar. Il est passé longtemps à la télévision, un vrai phénomène culturel. Tout le monde au Japon connaît Versailles à travers ce manga. » C’est également l’exposition médiatique constante de l’artiste qui lui vaut des critiques acerbes ; on qualifie son projet d’insipide ou ses compositions « d’art financier » et « sans intérêt ».
Il est intéressant de constater que dans la Galerie des Glaces et dans les appartements royaux, les spectateurs venus nombreux pour assister à cette rétrospective n’ont aucunement été scandalisés par l’opposition nette entre l’exubérance colorée des sculptures héritées des films d’animation japonais et l’ostentation des somptueuses salles en enfilade du château mais ont, au contraire, accueilli le projet monumental avec émerveillement, sans pour autant occulter les questionnements qu’il n’a pas manqué de susciter. En effet, la cohabitation du public et des œuvres s’est effectuée sans encombre. Le scandale est né d’une intolérance et d’un rejet d’un travail inconnu, résolument en contraste avec le lieu de l’exposition. Il permet finalement non seulement d’affirmer que l’espace est consubstantiel aux œuvres d’art qui y sont exposées mais aussi d’insister sur la richesse de mélanges incongrus qui mettent en perspective des époques et des cultures différentes destinées à être partagées. L’histoire de l’art atteste à de nombreux égards d’une logique contrapuntique : elle se compose de contradictions, de remises en cause, de confrontations en miroir, parfois déformant ou grossissant, pour barrer la route à l’univocité quelle que soit l’œuvre, l’époque ou le lieu en question.
Par Juliette Labreuche
Université Sorbonne Nouvelle – Paris3, L3, 2017