Parce que tu vis
(sept janvier deux mille quinze)

Claudine Galea

Commande du Théâtre du Pelican

Le texte se distribue sans distinction entre filles & garçons.
La langue française exprimant un implicite masculin, j’ai opté pour certains signes qui embrassent les genres :Les terminaisons en é/e.
Un / qui indique une superposition (en partie ou en totalité) des voix et des genres.
Touours dans ce sens, des phrases peuvent aussi être reprises, individuellement ou en groupe / choeur.

Les / proposent par ailleurs la possibilité de distribution, de superposition, de reprise d’une phrase par l’ensemble des protagonistes.

Les citations en italiques appartiennent à la traduction d’Olivier Cadiot du Poème des Poèmes dans l’Ancien Testament.

J’ai pris une liberté :

à

Mon amour est à moi
Et moi à lui

j’ai ajouté
Et moi à elle

L’avant-dernière citation vient du Coran (sourate 2 verset 187). J’ai préféré « vêtement » au « vêture » de la traduction de Jacques Berque.

I

J’ai quinze ans je suis né/e aujourd’hui.
Je pense au garçon que je vais aimer. Aux baisers qu’on va se donner.

Des baisers
oh des baisers de sa bouche

J’ai quinze ans. La fille que je vais aimer sera la plus belle. Mon amour pour elle sera
le plus grand. Je me lève en riant.
Plein/e d’amour de santé de rêves de désirs d’avenir.

Ma colombe du creux des roches
Fais-moi voir ton visage
fais-moi écouter ta voix
Ta voix si tendre

J’ai quinze ans je suis une fille rieuse. Une fille. Une femme. J’ai quinze ans je suis l’unique et l’absolue à moi toute seule. À toi tout seul tu es l’unique et l’absolu.

 

Tes amours de toi

c’est très bon

 

Je suis une fille. Je suis un garçon.

Je pense à la fille au garçon que je vais aimer. L’amour est mon choix, l’amour est ma liberté.

 

C’est sa voix

Le voilà

c’est mon amour qui vient

 

Ce matin est le premier matin de ma vie. Je te salue toi qui vas venir. Toi qui t’es levéE ce matin en riant. Dans le rire de celle / de celui qui t’aime. Dans le rire du vivant.

Tu t’es levé/e dans l’amour de celui / de celle qui t’aime. Dans la joie. Qui es-tu toi qui n’es pas comme moi ? Tu n’es pas mon ennemi/e. Tu as quinze ans et j’ai quinze ans. Je n’ai pas d’ennemi/e. Tu t’es levé/e en même temps que moi de l’autre côté de la mer de l’autre côté du mur. C’est un jour d’été / un jour d’hiver. Tu t’es levé/e dans les lumières de la ville. Dans la forêt obscure. Dans la neige silencieuse. Sous la mousson. Dans la montagne. Tu t’es levé/e dans le miroitement du désert. Dans le lit moelleux. Sur la terre sur le trottoir. Tu as quinze ans et tu te lèves pour aimer. Pour être aimé/e. Lève-toi et crie :

Je suis né/e pour aimer.

 

CRIE-LE-CHANTE-LE-PRIE-LE-PSALMODIE-LE-DANSE-LE-JOUE-LE

 

Te voilà si beau

mon amour si gracieux

 

J’ai quinze ans. Tous les possibles entre mes mains. Mes joues rougissent quand tu approches. Mes jambes tremblent mon coeur bondit.

 

Te voilà si belle

 

Je suis une jeune fille. Je suis un jeune homme. Toi aussi tu es une jeune fille. Tu es la jeune fille que j’aime. Tu es un jeune homme. Tu es le jeune homme que j’aime. Je t’aime. Redis-le. Je t’aime. Encore. JE T’AIME.

Mon temps est le temps de l’amour. Le temps de ton amour. Mon amour. Nous nous levons dans le monde et le monde a quinze ans. Le monde a ton rire. Le monde a ton visage ton visage est l’amour. J’ai quinze ans je désire le monde mon amour. Oh mon amour le monde.

 

Mon amour est à moi

et moi à lui

 

et moi à elle

 

Qui es-tu toi qui viens au monde ?

Qui es-tu toi que je ne connais pas encore ?

Tu as ri toi aussi un matin de printemps un matin d’automne / d’été / d’hiver. Tu as ri / aimé / embrassé. Tu as ouvert tes bras.

Dans le matin.

Heureux et nu.

Tu me ressembles. Je te ressemble.

Demain tu seras mon amour. Demain je te connaîtrai.

 

J’ai enlevé ma tunique

comment vais-je la remettre ?

J’ai lavé mes pieds

je vais les salir

 

Te voilà.

Me voilà.

J’ai entendu ta voix. J’ai respiré ton souffle. Ton regard renversé. J’ai entendu ton cri. Ton cri de joie. Tombe. Tombe dans mes bras mon amour. Tombe d’amour dans mes bras. Je suis là. Je reçois ton souffle ta voix ton cri ton regard ton amour mon amour.

Tu as pris mes mains et mes lèvres. Tu as pris mon souffle et mes yeux. Mon ventre et mes hanches. Tu as pris mes jambes. Tu courras. Tu courras loin. Tu as pris mes mains tu caresseras mon corps. Longtemps. Toujours. Tu as pris mes baisers tu déploies tes ailes. Tu as pris mon rire tu ris par-delà les villes par-delà les mers par-delà les murs.

 

J’aime qui m’aime.

J’aime qui j’aime.

 

J’ouvre à mon amour

 

Nous nous aimons.

Mon amour. Oh.

 

 

 

 

 

II

 

 

Je suis né/e ce matin.

Ce matin on t’a ôté la vie.

J’ai ouvert les yeux ce matin.

Quinze ans. La mort te tombe / me tombe dessus.

 

J’ai entendu ton cri.

D’épouvante / d’étonnement / de colère / d’effroi

J’ai entendu ton cri.

 

Ton cri.

Oh.

Amour.

 

NON.

 

J’ai ouvert à mon amour.

Je ne voulais pas quitter le lit de l’amour.

Je ne voulais pas sortir dans le froid de la mort.

Je ne voulais pas entrer dans l’hiver.

 

NON.

 

J’avais refermé la porte sur toi.

Notre amour nous protégeait.

Je ne pensais pas / tu ne pensais pas à la mort.

Quinze ans la mort une métaphore.

Tu avais refermé la porte sur moi.

La mort était loin.

La mort n’était pas pour moi / pas pour toi.

Ici la mort n’entre pas / n’arrive pas.

À l’abri ici.

NON.

 

Oh.

Qui es-tu toi qui n’es pas mon ennemi/e ?

Qui es-tu toi que je ne connais pas ?

Tu as / tu auras / tu as eu quinze ans comme moi / comme toi.

Qui es-tu toi qui caches ton visage ?

Toi qui agis au nom d’un autre ?

Toi qui cries et invoques ce nom ?

Avec ton corps comme le mien ?

Ta bouche tes mains comme les miennes ?

Qui es-tu pour noircir le matin ?

Qui es-tu pour dire je te tue ?

Que crois-tu ?

Qu’espères-tu ?

Que désires-tu ?

Oh.

Qu’as-tu perdu ?

 

J’ai entendu ton cri.

NON.

 

Un matin de janvier.

Je ne voulais pas quitter le lit de l’amour. Tomber dans le froid. Attraper la mort. Je ne voulais pas.

 

Mon amour éclatant et vermeil.

Nés ce matin. Un matin de janvier / Un matin glacé. Je suis une fille / Je suis un garçon. Demain je serai celle / celui que tu aimes. Demain je te connaîtrai / Demain tu seras mon amour. Demain je te dirai Je t’aime / Je t’aime.

NON.

 

Oh.

Amour.

NON.

 

CRIE-LE-CHANTE-LE-PRIE-LE-PSALMODIE-LE-DANSE-LE-JOUE-LE.

 

Tu ne tomberas pas.

NON.

Tu ne giras pas au milieu de ton sang.

NON.

Personne ne lèvera la main sur toi.

NON.

Personne ne s’appropriera le droit de mort sur toi.

Parce que tu es un homme. Parce que tu es une femme. Parce que tu es libre. Parce que tu n’as pas peur. Parce que tu ne te plies pas. Parce que tu ris le matin en te levant. Parce que tu parles. Parce que tu écris. Parce que tu chantes. Parce que tu dessines. Parce que tu danses. Parce que tu vis. Parce que tu aimes un garçon. Une fille. Parce que tu me tiens la main dans la rue. Parce que tu embrasses mes lèvres. Parce que je te prends dans mes bras. Parce que tu me trouves beau je te trouve belle. Parce que je te dis je t’aime. Je te dis tu es mon amour je t’aime. Et la mort n’a pas de prise sur toi pas de prise sur moi.

 

Elles sont un vêtement pour vous

et vous êtes un vêtement pour elles

 

Couvre-moi mon amour.

Couvre-moi de baisers.

Couvre-moi de tendresse.

Couvre-moi de joie.

Couvre-moi de courage.

Couvre-moi de désir.

Couvre-moi de beauté.

Couvre-moi maintenant. Et demain. Couvre-moi je te couvrirai.

 

Impose-moi comme un sceau sur ton coeur

Comme un sceau

sur ton bras

L’amour est fort comme la mort