Pour Palmyre.

En 2001, les attentats de New-York bombardent le monde d’images, dans une mise en scène spectaculaire et
répliquée en temps réel en milliards d’écrans.
A New-York des centaines de morts anonymes en quelques minutes sous nos yeux.
A Bamiyan, même année, les journalistes sont invités par les Talibans à photographier les Bouddhas géants
détruits à l’explosif.
En 2015, des morts exemplaires, des décapitations ciblées, mais l’image ne circule pas dans les mass medias.
La terreur se passe d’image.
En 2015, après Mossoul, Nimroud, Hatra, le site de Palmyre disparaît peu à peu sous la pression djihadiste,
mais l’image n’existe pas. Palmyre se dissout non pas dans le silence mais dans l’aveuglement, le néant d’image.
Face à cette absence le présent est remplacé par des images de carte postale.
Il y a longtemps bien sûr que l’image ne fait plus preuve, et que l’image n’est plus une condition sine qua non
pour fonder une réalité. L’absence d’image des chambres à gaz et la polémique autour des rares images retrouvées
posait la question de la représentation de cette réalité.1
Les cartes postales de Palmyre soulèvent un double problème sur le régime de l’image de terreur : celui de la
représentation de la terreur qui annihile les traces de notre civilisation, et celui du déplacement de l’usage de l’image
choc dans la stratégie médiatique des terroristes.
Tout se passe comme si les Twin Towers avaient tout avalé, digéré pour jamais la possibilité de l’image et rendu la
photographie obsolète. Ce néant d’image n’est-il pas pire au fond ? Il suffit d’énoncer « tel temple a été détruit »,
sur le mode des chroniques nécrologiques, et c’est tout. L’histoire se referme sur une absence redoublée. Ici pas
d’image-mausolée, pas d’image comme espace de mémoire ou de recueillement.
Seulement d’improbables cartes postales. Pour reprendre la formule de Georges Didi-Huberman « qu’est-ce qui
nous regarde »2 depuis ces images ahuries des temples disparus ou prêts de l’être ?
Ce texte n’est pas une tentative de réponse mais une invitation à ouvrir un nouveau champ de réflexion face à ce
qui nous sidère : cette absence d’image, ou plutôt cette substitution d’image, d’une terreur bien réelle.

Tu n’as rien vu à Palmyre.
Est-ce pareil, est-ce pire ?

De Palmyre tu n’as rien vu
A Palmyre où je ne suis pas
Je sais les temples disparus
Les pierres avec les hommes abattus
A Palmyre je sais
Que tout redevient poussière
La terre à la terre et la pierre au désert
Pourtant de Palmyre je n’ai rien vu
Je sais l’antique cité effarée

Dans la ligne de mire
Je sais qu’en cet instant
L’humaine foudre menace
Les sanctuaires de deux mille ans
Je sais la rage nihiliste et tenace
A effacer les portiques
A faire ruine de l’antique
Lion d’Athéna
Le temple d’Héliogabal
Les folies de Caracalla
La fureur de Zénobie
Et l’amour d’Hadrien.

De Palmyre où nous savons
Que le pire arrive
Je guette les images
J’attends la réplique
Des tours et leur poussière
Qui avait tout recouvert
Par-delà l’Atlantique
Pourtant de Palmyre je n’ai rien vu
Nous ne voyons rien
Que des images d’Epinal
Le temple de Baal
Le temple de Baalshamin
Des cartes postales
De l’instant d’avant
C’est comme la photo d’identité du condamné
Ou le dernier souvenir de vacances
Quand le monde souriait
– quelle insolence !
Les écrans restent vides
Désespérément
Vides du présent
La terreur est passée dans nos têtes
Seulement
La mise en scène est devenue minimale
La terreur est dans notre imagination
Parfois un soldat trône devant les vestiges
Et prend des airs de photo-montage
Palmyre est devenu mirage
C’est un film arrêté
La pellicule est sectionnée
L’image d’après sans cesse se dérobe
La terreur n’a plus d’image
De Palmyre je n’ai rien vu

A Palmyre nous n’irons plus
Cité interdite et site interdit
D’un monde qui rétrécit
De Palmyre tu n’as rien vu.

1 Rappelons-nous les positions adverses de Georges DIDI-HUBERMAN dans Images malgré tout, Paris, Les Editions de Minuit, collection « Paradoxe », 2004 versus Claude LANZMANN.

2 DIDI-HUBERMAN Georges, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les Editions de Minuit, collection « Critique », 1992.

Aline César, Paris, 31 août 2015.