Le Groupov a joué «Rwanda 94» sur les lieux mêmes du génocide. Ce fut le choc, l’émotion, l’aventure. Retour sur l’événement avec ses acteurs.

Dix ans après le génocide, la troupe belge du Groupov s’est rendue sur les lieux du drame pour jouer «Rwanda 94», ce grand et bouleversant opéra théâtral. Jacques Delcuvellerie, le directeur, Marie-France Collard et Gasana Ndoba, qui fit la traduction simultanée des textes, sont venus témoigner de ce qui fut une incroyable aventure. «Nous avons joué à Butare dans une salle de 1200 places, à Kigali dans une salle de 500 places. Chaque soir, ce fut la folie, raconte Jacques Delcuvellerie. On a réussi à placer 700 personnes dans une salle de 500, mais cela ne suffisait pas. Il fallait refuser des spectateurs. Sur les collines mêmes du massacre, à Bisesero, il y eut près de 1500 personnes pour entendre la cantate. Parmi tous ces gens, des paysans illétrés mélangés à des ministres et des officiels. L’émotion était souvent à son comble comme lorsqu’une rescapée, Yolande Mukagasana, témoignait. Ce fut pour eux un choc de voir une Rwandaise briser les tabous culturels qui empêchent de parler ainsi en pleurant. Il y eut chaque soir des spectateurs pris d’un malaise et qui durent sortir de la salle avec l’aide de la Croix Rouge. La salle réagissait fortement, comme lorsqu’on explique qu’il y avait un lieu à Nairobi pour accueillir les animaux domestiques des expatriés vivant au Rwanda. Notre spectacle a eu un effet cathartique permettant que des larmes sortent, que des paroles soient enfin dites, ne fut-ce que par des chants ou des poèmes.»

La démarche était délicate. Au nom de quoi des Belges s’approprieraient-ils les larmes du génocide? « Vous prenez nos larmes et vous ne revenez jamais», avait dit un rescapé. Les Rwandais connaissent évidemment bien mieux que les Belges ce qui s’est passé. «Nous avons bien montré qu’on n’était pas là pour faire preuve de pédagogie et pour raconter leur histoire. Cet éventuel malentendu a été vite dissipé. Notre démarche était de sympathie, de compassion, de témoignage de ce que des Belges ont fait après le génocide». «Les gens ont été frappés, raconte Gasana Ndoba, de voir l’énergie et le temps dépensés par des étrangers pour des événements qui ne les concernaient pas directement. Ils ont profondément ressenti notre engagement.»

Les membres du Groupov ont remarqué la solitude dramatique des rescapés qui ont peur des représailles des tueurs s’ils témoignent contre eux. Ils estiment que le génocide n’est peut-être pas terminé.

Les Rwandais ont demandé au Groupov d’organiser des stages de théâtre et de les aider à ouvrir un lieu théâtral à Kigali. Une tournée italienne de Rwanda 94 est proposée. Mais avec quel argent? La tournée rwandaise se termine par un déficit et le ministre Chastel a refusé la demande d’aide exceptionnelle demandée par Delcuvellerie. Dommage.